L'INDIAN LABOUR CORPS DANS LES ENVIRONS DE NANCY ET EN LORRAINE
1917 - 1919
"Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s'ils les reverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l'art de l'invisibilité"
"There are Hindus who look in amazement at western fields
They dwell with melancholy on the ones whom they might see no more
For this war has excelled in the art of invisibility"
"There are Hindus who look in amazement at western fields
They dwell with melancholy on the ones whom they might see no more
For this war has excelled in the art of invisibility"
Guillaume Apollinaire, Il y a (There is / are...), Calligrammes (1918).
Durant la Grande Guerre, des troupes indiennes furent stationnées dans les environs de Nancy et dans les Vosges, surtout durant l'hiver 1917 - 1918. C'est une histoire pratiquement oubliée et dont il reste peu de traces visibles aujourd'hui : 76 tombes dispersées entre le Cimetière du Sud à Nancy, celui d'Azelot et celui de Jarville, ainsi que dans les cimetières de Charmes-Essegney, Mandres-sur-Vair, Rambervillers, Martigny-les-Bains et la nécropole de Vitry-le-François.
Ces hommes faisaient partie de l'Indian Labour Corps, unité de travailleurs non-combattants chargés de corvées de transport et de terrassement. Des élèves de la classe de Seconde 03 ont étudié leur histoire, qui s'est principalement déroulée près de Nancy, lors des heures d'accompagnement personnalisé en 2015 - 2016, avec un article publié le 23 juin 2016; article qui a servi de base à cette étude.
Cette étude, avec la participation des mêmes élèves et de nouveaux, a été étendue à toute la Lorraine lors de cette année 2016 - 2017 en raison du centenaire de la venue des Indian Labourers et de leur rôle dans la construction d'aérodromes destinés au Royal Flying Corps et à la constitution d'une force de bombardement stratégique à partir d'octobre 1917.
In the winter of 1917-1918, some companies of the Indian Labour Corps (ILC) went to Lorraine, near Nancy. The Indian labourers had to dig and carry supplies to build a series of airfields for the Royal Flying Corps. There are only 76 graves of those Indians who built an airfield at Azelot in the vicinity of Nancy by October 15, 1917, and four other airfields in other towns such as Rambervillers and Autreville.
Last year, the pupils of Seconde 03 wrote some articles dealing with the Indians near Nancy. That year, the Indian companies which worked in the Vosges have been studied. The ILC played an important role in building several airfields which should welcome new squadrons of the Royal Flying Corps in 1917 - 1918. Thanks to the Indian labourers, the British could bomb the great industrial cities of Western Germany by the Summer of 1918.
Cette étude, étendue aux départements lorrains ayant accueilli des Indiens (Meurthe-et-Moselle et Vosges essentiellement), a reçu en janvier 2017 le label "Mission Centenaire 14-18". Cet article sera enrichi progressivement avec les recherches faites par les élèves aidés par leurs professeurs, Jérôme Janczukiewicz en Histoire et Martine Raux en Anglais.
Nous remercions l'ECPAD (Fort d'Ivry) et son personnel pour son accueil le 14 août 2017. Grâce à monsieur Philippe Touron, nous avons appris l'existence de films tournés par les Français à Azelot en février 1918 et qui seront présentés prochainement.
De même, mesdames Véronique Pontillon et Marie-France Montel nous ont autorisé par contrat à présenter les photos et les films qui restent la propriété entière de l'ECPAD.
LES FILMS / THE FILMS !
Les films de l'ECPAD sont désormais présentés à la fin de cette étude pour une durée limitée.
The films shot by the French Army in February 1918 can be seen at the end of that study (copyright ECPAD).
Un Indian Labourer dans la forêt d'Azelot. 6 mai 1918. Cliché d'Auguste Goulden. ECPAD. An Indian Labourer in Azelot forest. May 6, 1918. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Emblème de l'Indian Labour Corps (Cimetière du Sud Nancy). Badge of the Indian Labour Corps (Nancy Southern Cemetery) |
Pourquoi des troupes indiennes près de Nancy ?
La présence de ces Indiens vient de la participation de l'Empire des Indes à la Grande Guerre, comme partie de l'empire britannique. Le terme "Indien" utilisé dans l'étude fait référence à l'Inde d'avant la partition de 1947, dans ses frontières de l'époque, comprenant l'actuelle République de l'Inde, le Pakistan, le Bangladesh ainsi que la Birmanie (détachée de l'Empire des Indes en 1937).
Première Partie: le temps des Cipayes.
A- L'Inde
dans l'empire britannique
The British
Raj (1858–1947):
After the Sepoy Mutiny in 1857, the British government organized the Indian territories and in 1876, Queen Victoria became Empress of India.
There were 565 princely states when India and
Pakistan became independent from Britain in August 1947. The Indian Empire was
composed of the territories (called British India) governed by the viceroy who was the representative
of the British Crown in India during the British domination or Raj, and the Princely
States. The Princely States were territories of the British Raj led by local rulers such as maharajahs or nabobs in the relation of vassalage with the British Crown.
India had her own army composed of native soldiers called sepoys ("infantrymen") but under the command of the English. Some units of the Indian army were famous, such as the Bengal lancers. The country had a Parliament located in New Delhi, the new capital since 1911, and its own laws.
India had her own army composed of native soldiers called sepoys ("infantrymen") but under the command of the English. Some units of the Indian army were famous, such as the Bengal lancers. The country had a Parliament located in New Delhi, the new capital since 1911, and its own laws.
In 1914, King George V was Emperor of India and entitled as the "King-Emperor", showing the personal union between the United Kingdom and India, with the same monarch ruling over the two countries. We can notice that King George V was the only British monarch who visited India in 1911.
The Flag of the Indian Empire (Wikipedia) |
B - La participation de l'Inde à la guerre.
Lors de la Première
Guerre mondiale, l'Inde entra en guerre contre l'Allemagne, sur décision du vice-roi, Lord Hardinge, qui mobilisa les troupes indiennes le 8 août 1914, à la demande de Londres, sans que le Parlement de New Delhi soit consulté mais cela fut accepté sans contestation, même par le Mahatma Gandhi qui estimait que l'Inde devait aider l'Angleterre comme membre de l'Empire, ce qui lui donnerait le droit, plus tard, à des privilèges. Il y eut de nombreuses manifestations de joie en Inde, qui fit bloc derrière l'Angleterre, avec des messages de soutien destinés au Roi - Empereur, des propositions spontanées de versement d'argent et de chevaux de la part des princes locaux et une mobilisation totale de la population et de l'armée.
L'Angleterre confia son armée des Indes, commandée par Sir James Willcocks, à Horatio Herbert Kitchener, secrétaire d'Etat à la Guerre, qui organisa le débarquement en France pour combattre au côté des alliés français et belges, notamment dans les Flandres en 1914 et 1915. Cette participation de l'Inde à la guerre montrait aussi que l'Angleterre, puissance navale, pouvait compter sur son empire pour renforcer son armée. Pour les Indiens, leur loyauté à l'égard des Anglais pouvait faire espérer un changement politique en Inde avec plus d'autonomie voire un "self-government".
Les troupes indiennes débarquèrent à Marseille à partir du 26 septembre 1914. C'est à la fin d'octobre 1914 qu'elles furent envoyées sur le front Nord, sur un secteur s'étendant de Fauquissart à Givenchy-lès-La-Bassée. Les Cipayes firent vite connaissance avec la guerre des tranchées et se battirent très courageusement contre les Allemands, les empêchant de s'emparer de Boulogne-sur-Mer et de Nieuport.
L'Angleterre confia son armée des Indes, commandée par Sir James Willcocks, à Horatio Herbert Kitchener, secrétaire d'Etat à la Guerre, qui organisa le débarquement en France pour combattre au côté des alliés français et belges, notamment dans les Flandres en 1914 et 1915. Cette participation de l'Inde à la guerre montrait aussi que l'Angleterre, puissance navale, pouvait compter sur son empire pour renforcer son armée. Pour les Indiens, leur loyauté à l'égard des Anglais pouvait faire espérer un changement politique en Inde avec plus d'autonomie voire un "self-government".
Les troupes indiennes débarquèrent à Marseille à partir du 26 septembre 1914. C'est à la fin d'octobre 1914 qu'elles furent envoyées sur le front Nord, sur un secteur s'étendant de Fauquissart à Givenchy-lès-La-Bassée. Les Cipayes firent vite connaissance avec la guerre des tranchées et se battirent très courageusement contre les Allemands, les empêchant de s'emparer de Boulogne-sur-Mer et de Nieuport.
Environ 1,3 millions de soldats indiens participèrent au conflit
en Europe ou au Moyen-Orient (contre la Turquie), dont 800 000 combattants et 500 000 non-combattants. Parmi ces soldats
indiens, 140 000 servirent en France (90 000 combattants et 50 000 non - combattants). L'armée indienne dut s'adapter au terrain et au rude climat hivernal car elle n'avait jamais combattu en Europe. En arrivant en France, les Cipayes n'avaient que des tenues en coton ! Le guerre des tranchées, comparée à une sorte de guerre de siège, fut aussi traumatisante pour les Cipayes, qui acceptaient parfaitement de donner l'assaut et de se battre à l'arme blanche mais qui supportèrent très mal de rester des jours entiers dans des tranchées boueuses sous un bombardement violent, sans rien faire.
Les soldats indiens, en plus de leur courage, montrèrent une grande loyauté à l'égard de leur roi - empereur pour lequel ils se battaient, ne comprenant pas très bien, au début, les causes de la guerre et les camps en présence. Les Cipayes vont aussi très vite pactiser avec la population française. Plus de 74 000 soldats indiens furent portés morts ou disparus durant la Première Guerre Mondiale et autant furent blessés.
Les soldats indiens, en plus de leur courage, montrèrent une grande loyauté à l'égard de leur roi - empereur pour lequel ils se battaient, ne comprenant pas très bien, au début, les causes de la guerre et les camps en présence. Les Cipayes vont aussi très vite pactiser avec la population française. Plus de 74 000 soldats indiens furent portés morts ou disparus durant la Première Guerre Mondiale et autant furent blessés.
Indian lancers in 1914. Postcard printed in Nancy. (Private collection) |
La participation financière de l'Inde
dans la Première Guerre Mondiale fut aussi considérable et a commencé avec les princes féodaux (maharajas, nababs, nizams) qui, dès l'annonce de la déclaration de guerre à l'Allemagne, le 4 août 1914, ont proposé spontanément beaucoup d'argent, de troupes, de main
d’œuvre, de navires-hôpitaux, de voitures, des flottilles, des chevaux, de la nourriture et des vêtements.
C- Les
regards croisés entre les Français et les Indiens
Les soldats indiens étaient issus de la paysannerie vivant dans des villages isolés dans les hauteurs ou les montagnes, car les Anglais considéraient leurs habitants comme sains et forts, contrairement aux habitants des plaines, minés par les fièvres.
On comptait dans leurs rangs une très grande diversité ethnique, linguistique et religieuse ainsi que des pratiques aussi très diversifiées: les Musulmans mangeaient une nourriture "halal" et sans porc, les Hindouistes ne mangeaient pas de boeuf et devaient parfois faire leurs ablutions rituelles avant les repas; la nourriture fournie par des non-Indiens ou des gens de castes inférieures ne pouvait pas être acceptée, d'où des cuisines séparées et une multitude de "followers" (cuisiniers, porteurs d'eau, balayeurs etc), souvent très jeunes, qui suivaient l'armée.
Les Cipayes étaient très souvent analphabètes. Ils "signaient" leur contrat d'engagement avec l'empreinte de leur pouce. Ainsi, au Pendjab, 5 % de la population seulement savait lire. Ils devaient faire appel à des écrivains ou à des camarades sachant écrire. Leurs témoignages, écrits en hindi, ourdou et gurmukhi sont donc rares et les lettres conservées viennent du Comité de Censure, composé d'officiers de l'Armée des Indes et de professeurs de langues orientales, qui veillait à ce que des propos démoralisants ou désobligeants à l'égard des Anglais ou de leurs alliés ne fussent pas transmis en Inde.
La plupart de ces soldats venaient du Nord et Nord - Ouest de l'Inde (Pendjab, Rajasthan, Frontière du Nord - Ouest, Népal) où se trouvaient des "tribus guerrières", appelées "martial races" par les Anglais, loyales à l'égard des Britanniques et des maharajas, et peu politisées. En plus de cette loyauté, de la valeur et du prestige attachés à la guerre, qui pouvait offrir des promotions sociales ou des avantages matériels, beaucoup d'Indiens, très pauvres, s'engagèrent pour toucher la prime d'engagement de 11 roupies (le montant de la solde mensuelle), somme importante pour eux et qui permettait de nourrir leur famille ou de rembourser les emprunts. Les campagnes de recrutement qui eurent lieu dans les mois qui suivirent l'entrée en guerre, menées par les notables des villages et des officiers, obtinrent de bons résultats grâce aux mêmes arguments: la promesse de trois repas quotidiens, d'une solde régulière, de pouvoir montrer sa vaillance au combat et de gagner des récompenses, de découvrir un pays lointain.
On comptait dans leurs rangs une très grande diversité ethnique, linguistique et religieuse ainsi que des pratiques aussi très diversifiées: les Musulmans mangeaient une nourriture "halal" et sans porc, les Hindouistes ne mangeaient pas de boeuf et devaient parfois faire leurs ablutions rituelles avant les repas; la nourriture fournie par des non-Indiens ou des gens de castes inférieures ne pouvait pas être acceptée, d'où des cuisines séparées et une multitude de "followers" (cuisiniers, porteurs d'eau, balayeurs etc), souvent très jeunes, qui suivaient l'armée.
Les Cipayes étaient très souvent analphabètes. Ils "signaient" leur contrat d'engagement avec l'empreinte de leur pouce. Ainsi, au Pendjab, 5 % de la population seulement savait lire. Ils devaient faire appel à des écrivains ou à des camarades sachant écrire. Leurs témoignages, écrits en hindi, ourdou et gurmukhi sont donc rares et les lettres conservées viennent du Comité de Censure, composé d'officiers de l'Armée des Indes et de professeurs de langues orientales, qui veillait à ce que des propos démoralisants ou désobligeants à l'égard des Anglais ou de leurs alliés ne fussent pas transmis en Inde.
La plupart de ces soldats venaient du Nord et Nord - Ouest de l'Inde (Pendjab, Rajasthan, Frontière du Nord - Ouest, Népal) où se trouvaient des "tribus guerrières", appelées "martial races" par les Anglais, loyales à l'égard des Britanniques et des maharajas, et peu politisées. En plus de cette loyauté, de la valeur et du prestige attachés à la guerre, qui pouvait offrir des promotions sociales ou des avantages matériels, beaucoup d'Indiens, très pauvres, s'engagèrent pour toucher la prime d'engagement de 11 roupies (le montant de la solde mensuelle), somme importante pour eux et qui permettait de nourrir leur famille ou de rembourser les emprunts. Les campagnes de recrutement qui eurent lieu dans les mois qui suivirent l'entrée en guerre, menées par les notables des villages et des officiers, obtinrent de bons résultats grâce aux mêmes arguments: la promesse de trois repas quotidiens, d'une solde régulière, de pouvoir montrer sa vaillance au combat et de gagner des récompenses, de découvrir un pays lointain.
Un
cipaye (c'est le terme employé au sein des armées indiennes et du Bangladesh pour désigner un soldat sans grade servant dans l'infanterie) déclare: «La France ne
ressemble à aucun autre pays».
L'Hexagone était souvent comparé à un «paradis», à «une
terre féerique», «le pays est magnifique, bien irrigué et fertile...»; les Français sont vus comme très beaux et surtout «les femmes sont très belles
et distribuent librement leurs faveurs parmi nous».
Les Hindous déclarent :«tous nos yeux se sont ouverts depuis que nous
sommes arrivés dans ce pays». Ils sont frappés par le contraste entre la richesse de la France et la pauvreté de l'Inde, par le fait qu'en France tous les enfants vont à l'école.
Ils déclarent n'avoir pas besoin de voir
l’Angleterre car «en Europe les balayeurs, les charmas, les bathiyars, les
nababs, les rajas sont sur un même pied», en bref, ils sont étonnés que les
classes sociale se côtoient.
De plus, ils déclarent qu' «ici le travail n'est
pas considéré comme une honte , mais comme une gloire».
Beaucoup
d'Indiens se souvenaient de la gentillesse et de l'accueil chaleureux de la
population locale, qui les ont considéré comme des hôtes privés. Ils affirment qu' «une
fois partis, la plus part d'entre nous ont conservé un souvenir très tendre de
la France» et que «nous avons vu des choses que nous n’aurions jamais rêvé de
voir ». On pourra lire en annexe II trois extraits de lettres écrites par les Cipayes.
De l'autre côté, la présence des Indiens suscitait beaucoup de curiosité de la part des Français, qui publièrent de nombreuses cartes postales représentant les cipayes, et qui accueillirent tous les contingents avec beaucoup de chaleur et de générosité. Les cipayes étaient aussi très appréciés des populations proches du front qui devaient les loger car les Indiens se comportaient bien (il y eut très peu de délinquance) et ils aidaient volontiers aux travaux des champs ou de la ferme. Les Anglais notèrent dans leurs rapports cette "proximité" entre Français et Indiens et veillèrent à ce que les règles de bienséance de l'époque soient respectées: les Indiens restaient consignés à leur arrivée en France dans des camps près de Marseille et ne devaient pas fréquenter (théoriquement) des Françaises.
En raison du froid intense de l'hiver 1914, qui provoqua de nombreuses maladies chez les Cipayes et une forte baisse de leur moral, les troupes indiennes, qui représentaient un tiers de la British Expeditionary Force en octobre 1914, affaiblies par des pertes importantes, furent retirées de France dès l'automne de 1915, après la dure bataille de Loos en septembre, afin d'éviter un second hiver. Elles furent envoyées à Gallipoli, au Proche - Orient et en Afrique pour être engagées contre les Turcs et les Allemands. Des troupes indiennes participèrent néanmoins au défilé du 14 juillet 1916 à Paris.
Les unités de cavalerie indienne restèrent toutefois en France jusqu'en mars 1918 dans l'attente d'une hypothétique percée des lignes allemandes, ainsi que le Corps des Sapeurs (Sappers and Miners). Les unités de cavalerie furent tenues en réserve lors de la Bataille de la Somme (juillet - novembre 1916), puis occupèrent une partie du terrain abandonné par les Allemands en mars 1917, lors de l'opération Alberich, avant de se retrouver à Cambrai en novembre 1917, sans être réellement engagées militairement puisque la percée n'eut pas lieu.
Néanmoins, trois brigades de cavalerie indienne furent envoyées contre les Allemands les 30 novembre et 1er décembre 1917, à Villers-Guislain, près de Cambrai, pour stopper une attaque de l'ennemi. Après de furieux combats sur le site d'une sucrerie, les Allemands furent arrêtés.
Un témoignage sur cette cavalerie indienne, empreint toutefois du cliché colonialiste sur le "faible Indien", a été laissé par P. Petit-Didier, directeur de la Banque de France à Béthune, chargé du versement de la solde de l'armée anglaise, de 1916 à 1918:
"La cavalerie hindoue mérite une mention toute particulière: les Sikhs sont souples, agiles et, sur leurs bêtes, les exercices des uns s'adaptent à merveille aux mouvements des autres. Malheureusement, les brouillards et les gelées des durs hivers du Nord les ont cruellement éprouvés. Un sentiment de pitié étreignait les habitants à la vue de ces maigres guerriers qui grelottaient, en claquant des dents, sans pouvoir se réchauffer, auprès de feux de bois pourtant de belle apparence.
Peu habitués aux coutumes européennes, ils n'hésitaient pas à allumer des feux au milieu des chambres où ils étaient logés et se trouvaient ensuite tout surpris de voir flamber les planchers des maisons.
Leur constitution délicate ne pouvait résister aux fatigues de la guerre et nombre d'entre eux reposent de leur dernier sommeil dans cette région du front."
P. Petit-Didier, Deux ans dans les Flandres. Visions de guerre 1916-1918, Editions de la Caravelle, Paris, sans date, p. 27-28.
En mars 1918, ces unités de cavalerie quittèrent la France et furent envoyées en Palestine. Les Sappers and Miners, quant à eux, restèrent jusqu'en 1919 pour nettoyer les champs de bataille parsemés de munitions.
Néanmoins, ce départ progressif des troupes indiennes masqua un autre fait important: d'autres unités, composées de conducteurs de mules, de chevaux, et de travailleurs, arrivèrent en nombre à partir de l'été 1917, mais la presse française, avec notamment l'hebdomadaire l'Illustration, n'y prêta pas attention. Elle avait pour principaux intérêts l'arrivée des Américains qui fit les gros titres, les opérations sur le fort de la Malmaison à l'ouest du Chemin des Dames, la constitution d'une armée polonaise en France.
De l'autre côté, la présence des Indiens suscitait beaucoup de curiosité de la part des Français, qui publièrent de nombreuses cartes postales représentant les cipayes, et qui accueillirent tous les contingents avec beaucoup de chaleur et de générosité. Les cipayes étaient aussi très appréciés des populations proches du front qui devaient les loger car les Indiens se comportaient bien (il y eut très peu de délinquance) et ils aidaient volontiers aux travaux des champs ou de la ferme. Les Anglais notèrent dans leurs rapports cette "proximité" entre Français et Indiens et veillèrent à ce que les règles de bienséance de l'époque soient respectées: les Indiens restaient consignés à leur arrivée en France dans des camps près de Marseille et ne devaient pas fréquenter (théoriquement) des Françaises.
Un petit album de cartes postales !
Some French postcards showing the Indians
Les Cipayes
The sepoys
An Indian sergeant. Private collection. |
Two sepoys in 1914. Private collection. |
"The Hindus in France. A Gurkha with his dreadful war cutlass" |
An Indian cavalryman. Private collection. |
Collection particulière - Private collection. |
"War 194-1915. An Indian camp in France". Private collection. |
Collection particulière - Private collection. |
Indian soldiers on the way to the front. Private collection. |
Indian soldiers bathing in Marseilles in 1914. Private collection. |
"War 1914-1915. Indians digging trenches". It was probably a military training because the sepoys are smiling and carefree. Private collection. |
Les hommes de service
The followers
Collection particulière - Private collection. |
Collection particulière. Private collection. |
A water bearer (a bhisti). Private collection. |
A cart of the Indian army carrying bottles. We can see three French soldiers walking in the background. Private collection. |
Some conveyors of the Indian army with their mules. We can notice the French civilians in the background. Private collection. |
A small cart of the Indian army. We can notice the French soldier on the left, and the British and Indian nurses on the right. Private collection. |
En raison du froid intense de l'hiver 1914, qui provoqua de nombreuses maladies chez les Cipayes et une forte baisse de leur moral, les troupes indiennes, qui représentaient un tiers de la British Expeditionary Force en octobre 1914, affaiblies par des pertes importantes, furent retirées de France dès l'automne de 1915, après la dure bataille de Loos en septembre, afin d'éviter un second hiver. Elles furent envoyées à Gallipoli, au Proche - Orient et en Afrique pour être engagées contre les Turcs et les Allemands. Des troupes indiennes participèrent néanmoins au défilé du 14 juillet 1916 à Paris.
Les unités de cavalerie indienne restèrent toutefois en France jusqu'en mars 1918 dans l'attente d'une hypothétique percée des lignes allemandes, ainsi que le Corps des Sapeurs (Sappers and Miners). Les unités de cavalerie furent tenues en réserve lors de la Bataille de la Somme (juillet - novembre 1916), puis occupèrent une partie du terrain abandonné par les Allemands en mars 1917, lors de l'opération Alberich, avant de se retrouver à Cambrai en novembre 1917, sans être réellement engagées militairement puisque la percée n'eut pas lieu.
Néanmoins, trois brigades de cavalerie indienne furent envoyées contre les Allemands les 30 novembre et 1er décembre 1917, à Villers-Guislain, près de Cambrai, pour stopper une attaque de l'ennemi. Après de furieux combats sur le site d'une sucrerie, les Allemands furent arrêtés.
Un témoignage sur cette cavalerie indienne, empreint toutefois du cliché colonialiste sur le "faible Indien", a été laissé par P. Petit-Didier, directeur de la Banque de France à Béthune, chargé du versement de la solde de l'armée anglaise, de 1916 à 1918:
"La cavalerie hindoue mérite une mention toute particulière: les Sikhs sont souples, agiles et, sur leurs bêtes, les exercices des uns s'adaptent à merveille aux mouvements des autres. Malheureusement, les brouillards et les gelées des durs hivers du Nord les ont cruellement éprouvés. Un sentiment de pitié étreignait les habitants à la vue de ces maigres guerriers qui grelottaient, en claquant des dents, sans pouvoir se réchauffer, auprès de feux de bois pourtant de belle apparence.
Peu habitués aux coutumes européennes, ils n'hésitaient pas à allumer des feux au milieu des chambres où ils étaient logés et se trouvaient ensuite tout surpris de voir flamber les planchers des maisons.
Leur constitution délicate ne pouvait résister aux fatigues de la guerre et nombre d'entre eux reposent de leur dernier sommeil dans cette région du front."
P. Petit-Didier, Deux ans dans les Flandres. Visions de guerre 1916-1918, Editions de la Caravelle, Paris, sans date, p. 27-28.
"In the camp of the Indian cavalry, near Fricourt (Somme)", drawing by François Flameng, l'Illustration, n° 3928, June 15, 1918. |
En mars 1918, ces unités de cavalerie quittèrent la France et furent envoyées en Palestine. Les Sappers and Miners, quant à eux, restèrent jusqu'en 1919 pour nettoyer les champs de bataille parsemés de munitions.
Néanmoins, ce départ progressif des troupes indiennes masqua un autre fait important: d'autres unités, composées de conducteurs de mules, de chevaux, et de travailleurs, arrivèrent en nombre à partir de l'été 1917, mais la presse française, avec notamment l'hebdomadaire l'Illustration, n'y prêta pas attention. Elle avait pour principaux intérêts l'arrivée des Américains qui fit les gros titres, les opérations sur le fort de la Malmaison à l'ouest du Chemin des Dames, la constitution d'une armée polonaise en France.
BIBLIOGRAPHIE:
- Shrabani BASU, For King and another country. Indian soldiers on the Western Front 1914 - 1918, Bloomsbury, 2016.
- Santanu DAS, L'Inde
dans la grande Guerre, Gallimard, 2014.
- David OMISSI, Indian Voices of the Great War, Penguin Books, 2014.
- P. PETIT-DIDIER, Deux ans dans les Flandres. Visions de guerre 1916-1918, Editions de la Caravelle, Paris, sans date.
- P. PETIT-DIDIER, Deux ans dans les Flandres. Visions de guerre 1916-1918, Editions de la Caravelle, Paris, sans date.
English summary:
In August 1914, India was at war with Germany when the Viceroy, Lord Hardinge, ordered to mobilize the Indian Army without a vote of the Indian Parliament, but the war was accepted, even by Mahatma Gandhi. By September 26, 1914, the Indian troops fought in France, above all in Flanders. India raised 1.3 million men and 140,000 out of them went to France. 74, 000 Indians died during the Great War. Moreover, India supplied England with raw materials, cattle and money.
Most of the Indian soldiers were illiterate and their testimonies are rare. They joined the Indian army because they were loyal to the British and maharajahs, moreover war was a noble activity among the ethnies living in Northern India. Eleven rupees were given to each volunteer and that money was useful to poor Indians to feed their families.
In France, the Indian soldiers were amazed at seeing French people who were regarded as "very beautiful", above all the women... France was regarded as a prosperous country with a thriving agriculture; a country where rich and poor were equal, where all the children had to go to school. French people were very nice to Indian soldiers who felt nostalgic about their war years spent in France. The French published a lot of postcards showing the Indian soldiers.
Because of the cold winter of 1914, the Sepoys were gradually withdrawn from France at the end of 1915 and sent to Gallipoli, Mesopotamia and Egypt. Some cavalry units stayed in France until March 1918 and left the country. The Sappers and Miners stayed in France until 1919 to clear the battlefields.
In France, the Indian soldiers were amazed at seeing French people who were regarded as "very beautiful", above all the women... France was regarded as a prosperous country with a thriving agriculture; a country where rich and poor were equal, where all the children had to go to school. French people were very nice to Indian soldiers who felt nostalgic about their war years spent in France. The French published a lot of postcards showing the Indian soldiers.
Because of the cold winter of 1914, the Sepoys were gradually withdrawn from France at the end of 1915 and sent to Gallipoli, Mesopotamia and Egypt. Some cavalry units stayed in France until March 1918 and left the country. The Sappers and Miners stayed in France until 1919 to clear the battlefields.
Pierre Mercier, Thomas Perin, Tom Houssin-Williams, Maïa Blondel, Lola Chebbah.
Deuxième partie: la venue des Indian Labourers.
A- La création du Labour Corps.
L'année 1917 fut extrêmement importante dans l'histoire des unités non-combattantes (Labour Battalions) de l'armée anglaise. En effet, depuis l'année précédente, les effectifs de cette armée ne cessaient de croître et les offensives menées par elle nécessitaient une main d'oeuvre de plus en plus nombreuse pour la logistique: il fallait approvisionner les hommes en munitions, en nourriture et en équipements divers, nourrir le bétail, fournir du carburant aux véhicules, aménager des routes, des chemins de fer et des campements, laver et repriser les uniformes.
Les Britanniques avaient déjà de nombreux bataillons de travailleurs, pris au sein des unités de l'armée anglaise et des Dominions, ou constitués pour des taches spécifiques (comme les dockers), y compris ceux formés par les prisonniers de guerre allemands et les civils français et belges, mais cela ne suffisait plus. Dès le printemps 1916, l'Etat-Major anglais avait songé à faire appel au "Coloured Labour", c'est-à-dire à des hommes de couleur venus de toutes les parties de l'Empire Britannique; décision entérinée à l'automne de cette année.
Les Britanniques avaient déjà de nombreux bataillons de travailleurs, pris au sein des unités de l'armée anglaise et des Dominions, ou constitués pour des taches spécifiques (comme les dockers), y compris ceux formés par les prisonniers de guerre allemands et les civils français et belges, mais cela ne suffisait plus. Dès le printemps 1916, l'Etat-Major anglais avait songé à faire appel au "Coloured Labour", c'est-à-dire à des hommes de couleur venus de toutes les parties de l'Empire Britannique; décision entérinée à l'automne de cette année.
Les nombreuses unités de travailleurs non-combattants furent réorganisées au début de 1917 avec le maintien de la croissance des effectifs de l'armée anglaise, qui culminèrent à 1, 7 million d'hommes lors de l'été 1917, et avec les opérations militaires intenses menées cette année-là avec les trois grandes offensives d'Arras (avril 1917), des Flandres (juillet-novembre 1917) et de Cambrai (novembre 1917) plus l'intensification des opérations aériennes de bombardement stratégique que nous verrons plus loin.
Le 11 janvier 1917, le War Office approuva la création du Labour Directorate, qui supervisait toutes les unités de travailleurs, et qui fut confié au brigadier général Evan Gibbs. Le 21 février 1917, l'Ordre n° 85 créa le Labour Corps, qui en août eut son propre badge: une couronne de chêne avec au centre un fusil, une pelle, une pioche entrecroisés, le tout surmonté d'une couronne et avec la devise "Labor Omnia Vincit". Le 28 janvier 1918, le Labour Directorate fut réorganisé et confié le 11 février 1918 au colonel E.G. Wace, "Controller of Labour", qui introduisit les méthodes de taylorisme et de standardisation afin de donner plus d'efficacité aux chantiers et aux opérations de logistique. Les officiers du Labour Corps reçurent des tableaux de statistiques avec les rendements attendus !
La mission du Labour Corps, qui comptait plus d'un million de personnes, était proche de celle des Pioneer Battalions de l'armée britannique (80 000 hommes), unités combattantes chargées de tâches spécialisées, dont l'insigne était très similaire (une pioche et un fusil entrecroisés): soulager l'infanterie en réalisant toutes les tâches qui n'étaient pas liées directement au combat (construction et entretien des routes, ponts, du terrassement, l'approvisionnement et l'évacuation des blessés). Le Labour Corps ajoutait plus de flexibilité dans la réalisation des travaux de toute nature en arrière du front. Le soldat était donc uniquement assigné à ses obligations militaires sans être détaché pour servir de main d'oeuvre pour des chantiers où travaillaient désormais les Labourers.
La mission du Labour Corps, qui comptait plus d'un million de personnes, était proche de celle des Pioneer Battalions de l'armée britannique (80 000 hommes), unités combattantes chargées de tâches spécialisées, dont l'insigne était très similaire (une pioche et un fusil entrecroisés): soulager l'infanterie en réalisant toutes les tâches qui n'étaient pas liées directement au combat (construction et entretien des routes, ponts, du terrassement, l'approvisionnement et l'évacuation des blessés). Le Labour Corps ajoutait plus de flexibilité dans la réalisation des travaux de toute nature en arrière du front. Le soldat était donc uniquement assigné à ses obligations militaires sans être détaché pour servir de main d'oeuvre pour des chantiers où travaillaient désormais les Labourers.
Les corvées de terrassement en 1915-1916
Digging and earthmoving activities in 1915-1916
En 1917 - 1918, Lord Ampthill, colonel de l'armée britannique, supervisa l'arrivée en France de 180 000 travailleurs du "Foreign and Native labour", dont 48 000 Indiens. Ces derniers n'étaient ni les seuls travailleurs étrangers ni les plus nombreux en France: les Chinois du Chinese Labour Corps étaient 95 000 et on comptait une grande diversité de nationalités (Noirs Sud-Africains, Egyptiens, Camerounais, et même des Fidjiens qui travaillèrent à Marseille !).
Dès le mois de janvier 1917, le Secrétaire d'Etat pour l'Inde demanda au vice-roi la levée de 50 000 hommes qui devaient servir comme travailleurs en France. L'Indian Labour Corps fut recruté au printemps 1917, dans 6 provinces indiennes (United Provinces, Bihar et Orissa, Assam, Frontière du Nord-Ouest, Birmanie et Bengale) parmi 12 peuples qui formèrent des compagnies, numérotées de 21 à 85, séparées ethniquement car ils ne voulaient pas travailler ensemble. Les Anglais voulaient éviter des conflits ethniques au sein des compagnies et pensaient que cette division ethnique était bonne pour le moral des travailleurs. Néanmoins, les dénominations ethniques sont parfois simplificatrices car des ethnies pouvaient recevoir un "label" qui ne correspondait qu'approximativement à leurs lieux d'origine comme les compagnies birmanes ("Burma") qui comprenaient diverses tribus ou les compagnies des United Provinces (actuel Uttar Pradesh) assez variées dans leur composition.
Les travailleurs indiens étaient donc souvent issus de peuples et groupes tribaux de l'est et nord-est de l'Empire des Indes appelés par les Anglais "communautés aborigènes" (aboriginal communities) ou "hommes primitifs des collines" (primitive hill - men).
Ce recrutement fut diversement apprécié. Des princes et des notables locaux, avec le soutien de "commissioners" anglais, encouragèrent les engagements, effectués selon un système de quotas par province, parfois avec des pressions sur les habitants; au contraire, dans l'Etat de Manipur, des exemptions à vie de la taxe foncière et de la corvée furent accordées à ceux qui voulaient s'engager, avec deux mois de salaire qui seraient versés comme avance. En effet, dans l'Etat de Manipur, le raja Chura Chand Singh et le lieutenant-colonel Cole avaient décidé de répondre favorablement aux exigences du gouvernement anglais en demandant aux diverses tribus (Kukis, Tangkhuls, Mao-Senapatis) de fournir des hommes valides, ce qui fut d'abord refusé par les chefs des villages: ils étaient hostiles au départ des hommes pour une guerre menée dans un pays lointain, où ils risquaient de mourir, et ne comprenaient pas le but de l'ILC. Les villages se concertèrent pour ne pas fournir les contingents demandés. Des missionnaires arrivèrent toutefois à convaincre certaines tribus, sur lesquelles ils avaient de l'influence en raison de leur mission évangélisatrice, de répondre favorablement aux demandes. Des avantages financiers importants furent aussi offerts aux volontaires comme une bonne solde et l'exemption de taxe foncière et de corvée mentionnée plus haut, et le recrutement du 22nd Manipur Labour Corps commença à partir du 16 avril 1917.
Par contre, les chefs des Kukis protestèrent contre ce recrutement et organisèrent une rébellion en 1917, rébellion qui dura trois ans. Les modalités de recrutement furent aussi variables selon les ethnies: généralement, le contrat devait durer un an, mais il y eut aussi des engagements pour la durée de la guerre; les hommes du Santal reçurent la promesse de ne pas être positionnés près du front, de même que les Garos (environ 500 hommes formant le 69th Garo Labour corps, réduit à la taille d'une simple compagnie) qui devaient rester à 40 miles de la zone des combats, tandis que les Nagas (1700 hommes formant les 35th, 36th, 37th, 38th Naga labour companies) pouvaient être envoyés dans des secteurs dangereux mais sans combattre directement... Dans l'Etat de Manipur, les missionnaires qui devaient convaincre les tribus à s'engager insistèrent fortement sur le rôle non-combattant de l'ILC.
Les Indiens s'engagèrent en raison de la situation économique de leur pays, qui s'était dégradée au cours de la guerre avec des famines locales et une hausse des prix liées à de mauvaises récoltes, aux stocks de nourriture envoyés à l'étranger, à la spéculation. La perspective d'avoir un "bon métier" avec une paie régulière de 20 roupies par mois (et même 22 roupies dans l'Etat de Manipur), d'être nourri abondamment, de recevoir un uniforme, signe de prestige (notamment auprès des femmes...), d'être exempté de taxe foncière et de corvée, et de voir un pays étranger rendait finalement attractif l'engagement dans l'Indian Labour Corps notamment chez les membres des "groupes tribaux" et des castes inférieures. Ils pouvaient espérer faire des économies et se marier lors du retour en Inde, même si la possibilité de mourir loin du pays natal compromettait le cycle des réincarnations...
Les travailleurs indiens étaient donc souvent issus de peuples et groupes tribaux de l'est et nord-est de l'Empire des Indes appelés par les Anglais "communautés aborigènes" (aboriginal communities) ou "hommes primitifs des collines" (primitive hill - men).
Ce recrutement fut diversement apprécié. Des princes et des notables locaux, avec le soutien de "commissioners" anglais, encouragèrent les engagements, effectués selon un système de quotas par province, parfois avec des pressions sur les habitants; au contraire, dans l'Etat de Manipur, des exemptions à vie de la taxe foncière et de la corvée furent accordées à ceux qui voulaient s'engager, avec deux mois de salaire qui seraient versés comme avance. En effet, dans l'Etat de Manipur, le raja Chura Chand Singh et le lieutenant-colonel Cole avaient décidé de répondre favorablement aux exigences du gouvernement anglais en demandant aux diverses tribus (Kukis, Tangkhuls, Mao-Senapatis) de fournir des hommes valides, ce qui fut d'abord refusé par les chefs des villages: ils étaient hostiles au départ des hommes pour une guerre menée dans un pays lointain, où ils risquaient de mourir, et ne comprenaient pas le but de l'ILC. Les villages se concertèrent pour ne pas fournir les contingents demandés. Des missionnaires arrivèrent toutefois à convaincre certaines tribus, sur lesquelles ils avaient de l'influence en raison de leur mission évangélisatrice, de répondre favorablement aux demandes. Des avantages financiers importants furent aussi offerts aux volontaires comme une bonne solde et l'exemption de taxe foncière et de corvée mentionnée plus haut, et le recrutement du 22nd Manipur Labour Corps commença à partir du 16 avril 1917.
Par contre, les chefs des Kukis protestèrent contre ce recrutement et organisèrent une rébellion en 1917, rébellion qui dura trois ans. Les modalités de recrutement furent aussi variables selon les ethnies: généralement, le contrat devait durer un an, mais il y eut aussi des engagements pour la durée de la guerre; les hommes du Santal reçurent la promesse de ne pas être positionnés près du front, de même que les Garos (environ 500 hommes formant le 69th Garo Labour corps, réduit à la taille d'une simple compagnie) qui devaient rester à 40 miles de la zone des combats, tandis que les Nagas (1700 hommes formant les 35th, 36th, 37th, 38th Naga labour companies) pouvaient être envoyés dans des secteurs dangereux mais sans combattre directement... Dans l'Etat de Manipur, les missionnaires qui devaient convaincre les tribus à s'engager insistèrent fortement sur le rôle non-combattant de l'ILC.
Les Indiens s'engagèrent en raison de la situation économique de leur pays, qui s'était dégradée au cours de la guerre avec des famines locales et une hausse des prix liées à de mauvaises récoltes, aux stocks de nourriture envoyés à l'étranger, à la spéculation. La perspective d'avoir un "bon métier" avec une paie régulière de 20 roupies par mois (et même 22 roupies dans l'Etat de Manipur), d'être nourri abondamment, de recevoir un uniforme, signe de prestige (notamment auprès des femmes...), d'être exempté de taxe foncière et de corvée, et de voir un pays étranger rendait finalement attractif l'engagement dans l'Indian Labour Corps notamment chez les membres des "groupes tribaux" et des castes inférieures. Ils pouvaient espérer faire des économies et se marier lors du retour en Inde, même si la possibilité de mourir loin du pays natal compromettait le cycle des réincarnations...
Les compagnies de l'Indian Labour Corps avaient un effectif théorique de 500 hommes chacune, avec une hiérarchie calquée sur l'armée. Au départ, un "Corps" de 2000 hommes - comprenant théoriquement 4 compagnies - était formé avec à sa tête un commandant, deux assistants-commandants, quatre "supervisors" (contremaîtres) puis, à l'arrivée en France, au dépôt de Marseille, ce corps était alors divisé, les 4 compagnies de 500 hommes ayant chacune un chantier à mener, mais il y eut d'énormes variations dans les effectifs, avec des contingents allant de de 6 370 à 417 hommes !
Ainsi, le 22nd Manipur Labour Corps, comprenant 2000 hommes, fut divisé en 4 compagnies de 500 hommes (les 40th, 64th, 65th, 66th Labour companies); par contre il n'y eut que 1000 Garos qui voulurent s'engager et la moitié de cet effectif fut jugée inapte au service et donc le Garo Labour Corps eut l'effectif d'une simple compagnie avec moins de 500 hommes envoyés en France.
Les "labourers" étaient des civils non-combattants mais les Anglais tinrent à "militariser" au maximum l'Indian Labour Corps en lui donnant une hiérarchie et un règlement militaires, des uniformes et le règlement de l'ILC mentionne les "sepoys" (donc des soldats indiens) faisant partie des compagnies et non les "labourers". Les hommes du 22nd Manipur Labour Corps reçurent une instruction militaire avant leur départ pour la France en apprenant à marcher au pas, à saluer, le garde-à-vous etc.
Les membres de l'ILC disposaient aussi d'une plaque d'identité de forme ovale, en métal, fabriquée de façon rustique, portant leur nom, matricule et unité.
Le recrutement des officiers posa aussi de gros problèmes car les officiers (commandant et assistant-commandant) et les "supervisors", recrutés parmi les planteurs et fonctionnaires blancs et les Indiens cultivés, n'avaient aucune expérience...
Ainsi, le 22nd Manipur Labour Corps, comprenant 2000 hommes, fut divisé en 4 compagnies de 500 hommes (les 40th, 64th, 65th, 66th Labour companies); par contre il n'y eut que 1000 Garos qui voulurent s'engager et la moitié de cet effectif fut jugée inapte au service et donc le Garo Labour Corps eut l'effectif d'une simple compagnie avec moins de 500 hommes envoyés en France.
Les "labourers" étaient des civils non-combattants mais les Anglais tinrent à "militariser" au maximum l'Indian Labour Corps en lui donnant une hiérarchie et un règlement militaires, des uniformes et le règlement de l'ILC mentionne les "sepoys" (donc des soldats indiens) faisant partie des compagnies et non les "labourers". Les hommes du 22nd Manipur Labour Corps reçurent une instruction militaire avant leur départ pour la France en apprenant à marcher au pas, à saluer, le garde-à-vous etc.
Les membres de l'ILC disposaient aussi d'une plaque d'identité de forme ovale, en métal, fabriquée de façon rustique, portant leur nom, matricule et unité.
Le recrutement des officiers posa aussi de gros problèmes car les officiers (commandant et assistant-commandant) et les "supervisors", recrutés parmi les planteurs et fonctionnaires blancs et les Indiens cultivés, n'avaient aucune expérience...
Un Indian Labourer recevait une paye de 15 roupies par mois, plus des bonus pouvant faire monter cette somme à 20 roupies par mois; ces 20 roupies étant le montant habituel de la paye, parfois, c'était un peu plus. Cette somme était supérieure à la solde mensuelle d'un Cipaye qui s'élevait à 11 roupies par mois durant la guerre (solde qui passa ultérieurement à 19 roupies), situation qui avait provoqué des tensions et des plaintes au sein de l'armée indienne à la fin de 1914 et en 1915, les Cipayes jugeant qu'ils étaient trop peu payés. L'échelle des salaires variait aussi en fonction du grade: un "mate" (chef d'équipe) recevait 30 roupies par mois, un "headman" (chef de chantier) 100 roupies tout comme les interprètes.
On peut ainsi voir que les "labourers" de 1917 avaient des origines ethniques et géographiques différentes de celles des Cipayes de 1914-1915 et ce furent des motivations principalement économiques qui les poussèrent à s'engager dans l'ILC, même si la loyauté à l'égard du Roi-Empereur existait parmi eux, alors que les Cipayes étaient principalement motivés par la fidélité à leur monarque et par le goût du combat. Des compagnies de l'ILC servirent aussi en Mésopotamie et en Egypte.
Summary in English:
BIBLIOGRAPHIE:
La Guerre Illustrée, mars 1917, revue imprimée à Londres sur les presses de l'Illustrated London News & Sketch.
"Notes on Indian Labour", General Headquarters, 1918, auteur anonyme. C'est le règlement militaire de l'ILC en France, aimablement transmis par monsieur Tony McClenaghan.
John STARLING and Ivor LEE, No labour, no battle, History Press, 2014.
K.W. MITCHINSON, Pioneer battalions in the Great War. Organized and intelligent labour, Pen & Sword Books, 2014.
PAMKHUILA SHAIZA, 100 years on, a tribute to the Northeast India labour corps who fought the White War.
http://www.dailyo.in/politics/manipur-labour-corps-northeast-india-british-empire/story/1/16499.html
On peut ainsi voir que les "labourers" de 1917 avaient des origines ethniques et géographiques différentes de celles des Cipayes de 1914-1915 et ce furent des motivations principalement économiques qui les poussèrent à s'engager dans l'ILC, même si la loyauté à l'égard du Roi-Empereur existait parmi eux, alors que les Cipayes étaient principalement motivés par la fidélité à leur monarque et par le goût du combat. Des compagnies de l'ILC servirent aussi en Mésopotamie et en Egypte.
Summary in English:
The creation of the Labour Corps
The year 1917 was extremely important for the
British non-fighting units (or labour battalions). Indeed ever since the
previous year, the troops kept increasing and the offensives they led required
an increasing workforce to provide ammunition, food and various equipment, feed
the livestock, find fuel for the vehicles, build or repair roads, railways,
camps, wash and mend uniforms.
The British already had numerous battalions composed
of labourers taken from the British army units, from the Dominions or
constituted for specific tasks (such as stevedores). It was composed of German
prisoners of war, French or Belgian civilians, but they needed more men. As
soon as spring 1916, they had considered using “Coloured Labour”, i.e. men from
the British Empire. This decision was enforced in the autumn of that year.
These units were reorganized in the early months of
1917 and their number kept increasing up to 1.7 million men in the summer of 1917
due to the great offensives led that year in Arras, Flanders, Cambrai and the
more intense strategic air raids.
On 11 January 1917, the War Office approved the
creation of the Labour Directorate which oversaw all the units under the
authority of Brigadier General Evan Gibbs. On 21 February 1917, warrant N° 85
saw the creation of the Labour Corps. It was endowed with its own badge in
August: an oak wreath with a rifle in the centre, crossed with a shovel and a
pick, all ensigned with a crown bearing the motto “Labour Omnia Vincit”. The
Labour Directorate was reorganized and Colonel E. G. Wace was entrusted with
the responsibility of “Controller of Labour”. He introduced Taylorism and
standardisation methods to make logistic work more efficient. The labourers were
set performance targets.
The Labour Corps’ mission was close to that of the
British Army Pioneer Battalions, a fighting unit (respectively more than a
million men and 80 000 men). The latter’s ensign was a pick crossed with a
rifle, very similar to the Labour Corps’ one. They were both assigned skilled
tasks: relieving the infantry from all of its non-combatant duties such as
building and maintaining roads, bridges, moving supplies, the evacuation of
casualties. Thanks to the Labour Corps, the soldiers could devote themselves to
their military duties.
In 1917-1918, British Colonel Lord Ampthill oversaw
the arrival in France of 180 000 “Foreign and Native Labour”, with 48000 Indians.
The Chinese Labour Corps counted 95 000 men, and troops of many other
nationalities were present in France: Black South Africans, Egyptians,
Cameroonians, even Fijians operated in Marseilles.
In January 1917, the Secretary of State for India
asked the Viceroy to recruit 50 000 men to serve in France in the Indian
Labour Corps. They came from 6 provinces of India (United Provinces, Bihar and
Orissa, Assam, North-West Border, Burma and Bengal) with 12 different ethnic
groups working separately in different companies numbered from 21 to 85. The
British authorities wanted to avoid ethnic conflicts among men and thought this
would be better for labourers’ morale.
However some ethnic groups received a label that
corresponded only vaguely to their region of origin as some companies from
Burma or the United Provinces (today’s Uttar Pradesh) comprised tribes of
various ethnic origins.
Therefore Indian labourers originated from eastern
and north-western Indian tribes that the British called “aboriginal
communities” or “primitive hill-men”.
This draft was diversely greeted by local princes
and noblemen. Supported by English commissioners, some encouraged enrolment according
to quotas, sometimes putting pressure on inhabitants. Conversely in the State
of Manipur, voluntary enrolment was rewarded by land tax and duties exemptions
with two months advance pay.
In the State of Manipur, Raja Churachand Singh had
decided to require some tribal chiefs to supply able-bodied men (Kukis,
Tangkhuls, Mao-Senapatis), request which was initially refused. Local chiefs
were reluctant to send men overseas to a distant land to serve in the ILC whose
purpose they did not understand. After their initial refusal, some tribes
eventually agreed under the strong influence of missionaries. Added to the tax
exemptions mentioned above, financial incentives were also offered to
volunteers. The 22nd Manipur Labour Corps started recruiting on the
16 April 1917.
Yet Kuki chiefs protested by organising a rebellion
in 1917 that lasted for three years.
Recruitment conditions varied depending on the
ethnic groups. Enlistment duration varied.
They usually enlisted for a year, but in some contracts, it equated to the
duration of the war. Santal labourers were told they would not be positioned
near the front, the Garos (69th Garo Labour Corps was 500-men
strong) had to be 40 miles away from the combat zone while the Nagas (1700 men
from the 35th, 36th, 37th and 38th
Naga Labour Companies) could very well be sent to dangerous areas but they
could not be directly involved in combat.
In the State of Manipur, the missionaries insisted
on the non-fighting role of the Indian Labour Corps.
Indian people enlisted because of the economic
situation of their country that had deteriorated during the war: starvation due
to a rise in prices because of bad harvests, food supplies sent abroad,
speculation.
Some factors made enlistment in the ILC attractive
to members of the lower castes and tribal communities: having a good job with
monthly pay (as high as 22 rupees in the State of Manipur), abundant food,
wearing a uniform which increased their prestige among women, being exempted
from land tax and duties, travelling to a foreign country.
They were able to save money with a view to getting
married on their return, even though the risk of dying in a foreign country
jeopardised the cycle of reincarnation.
The Indian Labour Corps companies each comprised 500
men with a hierarchy similar to the army’s.
To begin with a Corps was composed of 2000 men,
divided into 4 companies, each commanded by a major, two assistant-majors, 4
supervisors. On arrival in Marseilles,
in France, this Corps was then split and each company was assigned different duties.
However headcounts could vary from 6370 to 417 men.
The 22nd Manipur Labour Corps was 2000
men strong, divided into 4 companies of 500 men: the 40th, 64th,
65th, 66th Labour companies. However only 1000 Garo men
agreed to enlist and half of them were deemed unfit for service. Thus the Garo
Labour Corps equated one company and fewer than 500 men were sent to France.
The labourers were civilian non-fighting men but the
British were keen to give the ILC a military organisation with military ranks,
rules and uniforms. In the ILC regulation, the labourers are mentioned as “sepoys”.
The 22nd Manipur Labour Corps men received military training before
heading to France: they were taught how to march, to stand to attention etc.
Recruiting officers (majors, assistant-majors) and
supervisors also raised problems as they were recruited among inexperienced
white civil servants and plantation owners and educated Indians.
An Indian Labourer’s monthly salary was usually 15
rupees that could rise up to 20 rupees including a bonus, but it could
sometimes be higher, which was more than a Sepoy earned in war time (11 rupees
that later rose to 19 rupees). This had given rise to tensions within the
Indian army and complaints from the Sepoys in late 1914 and 1915 about their
low salary.
Salaries also depended on ranks: a mate earned 30
rupees a month, a headman and an interpreter 100 rupees.
1917 Labourers had very different origins from the
1914-1915 Sepoys, and their motivations for enlisting were mostly due to
economic reasons , even though they also felt some degree of loyalty to the
King-Emperor, whereas the Sepoys were mostly prompted by a sentiment of loyalty
to the monarch and a taste for fighting.
Some Indian Labour Corps companies also served in
Mesopotamia and Egypt.
BIBLIOGRAPHIE:
La Guerre Illustrée, mars 1917, revue imprimée à Londres sur les presses de l'Illustrated London News & Sketch.
"Notes on Indian Labour", General Headquarters, 1918, auteur anonyme. C'est le règlement militaire de l'ILC en France, aimablement transmis par monsieur Tony McClenaghan.
John STARLING and Ivor LEE, No labour, no battle, History Press, 2014.
K.W. MITCHINSON, Pioneer battalions in the Great War. Organized and intelligent labour, Pen & Sword Books, 2014.
PAMKHUILA SHAIZA, 100 years on, a tribute to the Northeast India labour corps who fought the White War.
http://www.dailyo.in/politics/manipur-labour-corps-northeast-india-british-empire/story/1/16499.html
B - L'Indian Labour Corps près de Nancy
L'intensification des opérations aériennes en Lorraine.
En 1917, la France et l'Angleterre avaient un besoin urgent de main d'oeuvre et l'armée indienne disposait d'unités de travailleurs, "labourers" en anglais, au sein de l'Indian Labour Corps (ILC) dont 50 000 membres environ devaient venir en France. En plus de ces unités, le War Office, dès le 24 mars 1917, demandait aussi 18 286 conducteurs de mules et de chevaux afin de remplacer le personnel britannique dans les unités de logistique et d'artillerie. Très vite, les compagnies de l'Indian Labour Corps prirent la mer pour aller en France, comme le Naga Labour Corps qui embarqua le 26 avril 1917. Le voyage, pour les diverses unités de l'ILC, fut long et pénible, les hommes étant entassés dans les navires, dormant sur des paillasses, et souffrant du mal de mer. Les principales distractions furent la vue de la mer (beaucoup d'Indiens ne l'avaient jamais vue), des paysages (le Sinaï par exemple) et les chansons.
Le 16 juin 1917, les premières compagnies de l'ILC, fortes de plus de 6370 hommes, originaires des "United Provinces" (un territoire allant de Delhi à Bénarès), arrivèrent à Marseille à bord du SS Aragon; 20 000 autres "labourers" les suivirent lors des cinq semaines suivantes via Marseille ou Tarente. Ainsi les hommes du Lushai Labour Corps (2100 travailleurs répartis entre les 26th, 27th, 28th, 29th companies, cette dernière étant envoyée ultérieurement en Lorraine) débarquèrent aussi à Marseille en juin 1917, sous le commandement du lieutenant-colonel Mayfair et accompagnés par le Révérend gallois D. E. Jones "Zosaphluia"; ceux du Naga Labour Corps arrivèrent en deux groupes: 688 hommes le 21 juin 1917, 992 hommes le 2 juillet 1917.
Ces hommes, depuis leurs lieux de recrutement, étaient partis de Bombay et avaient traversé l'Océan Indien, le Canal de Suez et la Méditerranée. Ainsi, le 22nd Manipur Labour Corps quitta Imphal le 19 mai 1917 et arriva à Bombay le 6 juin puis il embarqua et atteignit Aden après neuf jours de traversée, puis traversa le Canal de Suez et débarqua à Tarente où il se reposa durant un mois (les hommes avaient beaucoup souffert du mal de mer) avant de prendre le train pour Marseille. Les quatre compagnies furent alors dispersées: la 40th resta à Marseille, les autres partant pour d'autres destinations comme la Lorraine pour la 64th company.
Cette vague de travailleurs venus d'Inde survint au moment où les dernières troupes indiennes s'apprêtaient à quitter la France comme on l'a vu plus haut.
Les compagnies de l'Indian Labour Corps furent affectées à des tâches diverses dans le Nord de la France, en Picardie mais aussi à Marseille: construction de camps, travail dans les carrières, entretien des routes, fabrication de briques ou de charbon de bois, travaux forestiers, manutention... Le rendement des hommes fut jugé très bon et les Indian Labourers se comportèrent très bien lors des grandes offensives allemandes de mars - avril 1918 qui bousculèrent l'armée anglaise dans les Flandres et en Picardie: ils poursuivirent leur travail calmement, malgré la fatigue et l'approche de l'ennemi, continuant à approvisionner l'armée britannique en munitions et à évacuer les blessés vers les postes de secours.
Durant l'hiver 1917 - 1918, ces "labourers", principalement des Bengalis, vinrent dans les environs de Nancy, à partir de la mi-octobre 1917, afin de construire un aérodrome à Azelot, et deux autres près de Rambervillers pour les escadrilles du Royal Flying Corps (qui devint la Royal Air Force le 1er avril 1918) qui devaient bombarder l'Allemagne puis opérer au printemps 1918 au dessus du saillant de Saint-Mihiel.
En effet, à l'automne 1917, les Anglais avaient décidé d'amplifier leurs opérations de bombardement stratégique sur l'Allemagne en choisissant de lancer des raids aériens à longue distance depuis la Lorraine; raids menés par la 41st Wing, unité aérienne créée officiellement le 11 octobre 1917, sous les ordres du lieutenant-colonel Cyril Newall, sur les usines de Trêves, Mannheim, Sarrebruck ou Metz. La 41st Wing devint la VIIIth Brigade du Royal Flying Corps le 28 décembre 1917 et Newall fut promu au grade de lieutenant - général.
Ces raids qui partaient des environs de Nancy, visaient à détruire le potentiel économique allemand et le réseau ferroviaire ennemi au moment où les Anglais lançaient une grande offensive à Cambrai et ils servaient aussi de réplique aux raids des Gothas - des bombardiers lourds allemands - sur Londres. Comme l'indique Maurice Baring, officier de l'Etat-Major du Royal Flying Corps, il fallait à la fois défendre l'Angleterre, laisser suffisamment d'escadrilles aux armées anglaises dans le nord de la France et amener des escadrilles dans les environs de Nancy afin de bombarder l'Allemagne; l'arrivée de ces escadrilles devant se faire dans le plus grand secret. Newall, installé d'abord à Ochey en octobre 1917, devait à la fois prendre en charge les opérations aériennes et entreprendre la construction de nouveaux aérodromes pour accueillir de nouvelles escadrilles au printemps 1918.
Cette montée en puissance se confirma au cours de l'année 1918 avec la constitution de l'Independent Air Force, le 6 juin de cette année, sous le commandement du major-général Hugh Trenchard, grande unité de bombardement stratégique issue de la 41st Wing et de la VIIIth Brigade.
L'hebdomadaire l'Illustration, tout en restant discret sur la localisation des aérodromes, a évoqué dans plusieurs numéros cette intensification des opérations aériennes britanniques, avec un grand article de Gustave Babin intitulé "Avec les armées britanniques. Le Royal Flying Corps", publié en deux parties les 16 et 23 février 1918 (n° 3911, p. 153-154 et n° 3912, p. 182-185) et qui présente notamment la carrière du major-général Trenchard, ainsi que dans les communiqués sur la guerre aérienne qui relataient régulièrement les bombardements des villes de Rhénanie, et avec une grande photographie d'un bombardier anglais publiée en première page le 25 mai 1918 (voir plus bas).
L'aérodrome d'Ochey (avec le 100th squadron installé dès le 5 octobre 1917, le 55th squadron présent dès le 11 octobre 1917, et le 216th squadron le 9 mai 1918) partagé avec les Français, et celui de Tantonville, devenaient trop petits pour accueillir de nouveaux "squadrons" (escadrilles) et il fallait construire des aérodromes pour les bombardiers notamment les gigantesques "Handley- Page".
"A big British bomber. A bombing sortie on the railway stations and military factories of the Rhineland is almost ready". L'Illustration, n° 3925, May 25, 1918. |
Grâce aux minutieuses recherches menées par le docteur Yves Grosse sur l'histoire de l'aérodrome d'Azelot, nous connaissons le détail de cette venue de l'aviation britannique.
Les Anglais négocièrent la venue des escadrilles de bombardement en Lorraine avec les Français et fixèrent avec eux les objectifs à détruire. Puis les Anglais cherchèrent des emplacements pour de nouveaux aérodromes et l'installation de la force de bombardement stratégique dans le sud de Nancy à la suite d'une demande, faite le 24 août 1917 par le Field Marshal Douglas Haig, auprès du service aéronautique du G.Q.G. français.
Les Français répondirent au Field Marshal Haig rapidement pour lancer les travaux, dès le 26 septembre 1917, avant l'arrivée des premières escadrilles à Ochey, en proposant aux Anglais les terrains d'Azelot, Gerbecourt et de Rambervillers et une visite en commun avec des officiers anglais en soulignant que
"les travaux à effectuer pour leur aménagement ... semblent devoir être très importants; les terrains ont besoin d'être drainés et nivelés; ils nécessiteront vraisemblablement chacun au moins 200 travailleurs. Etant donnée l'impossibilité de travailler en hiver la terre de LORRAINE, il est très important que cette visite en commun ait lieu au plus tôt".
Le 8 octobre 1917, un accord, rédigé en français, fut passé par le Major-Général Trenchard et l'aéronautique française (la version anglaise étant envoyée à Londres à la date du 6 octobre 1917), sous la forme d'une liste de demandes faites par les Anglais. Trenchard faisait savoir que, après avoir effectué les visites, les terrains d'Autrey et d'Azelot avaient été choisis, en pressant le lancement des travaux:
"Je désirerais commencer les travaux sur ces terrains immédiatement. Comme il y a beaucoup de travaux à exécuter, il n'y a pas de temps à perdre et mon officier a été informé que les travaux ne seraient plus possibles après la fin de Novembre, même si l'hiver est doux... Le terrain étant crevassé et sillonné, il devra être drainé et nivelé et j'estime que 300 hommes seront nécessaires pour Autrey et 400 pour Azelot. Il y a des petits villages dans un rayon de 2 à 4 kil. des aérodromes où les travailleurs pourront être cantonnés, mais pour éviter la perte de temps en allant et venant des cantonnements aux terrains, il serait bien préférable de loger les hommes dans des baraquements sur chacun des terrains..."
Les Français devaient accepter de prêter les terrains cités aux Anglais et de faciliter leur installation, de fournir des fascines de drainage, de prêter aussi du matériel agricole (3 charrues, 3 rouleaux, 3 herses, 2 niveleurs pour Autrey; 5 charrues, 5 rouleaux, 5 herses, 3 niveleurs pour Azelot) et des chevaux (30 pour Autrey, 50 pour Azelot) pour niveler le sol, de fournir des camions (jusqu'à 30) afin de transporter le matériel, des rations alimentaires et de loger le personnel qui travaillerait sur les sites. Aucune objection ne serait faite de la part des Français à l'emploi du "Black Labour" donc l'usage de coloniaux:
"Les Français n'auront pas d'objection pour la venue de travailleurs noirs et arrangeront le logement des équipes de travailleurs dans les villages voisins si on le demandait".
Le 12 octobre 1917, le service aéronautique du G.Q.G. français accordait le terrain d'Azelot aux Anglais mais pas Autrey, réservé à un autre usage. En échange, les Français proposaient Rambervillers ou Gerbecourt. Toutes les autres demandes anglaises étaient acceptées notamment les chevaux et fascines de drainage et le général de Castelnau, commandant en chef des Armées Françaises de l'Est avaient reçu des ordres à ce propos.
Le major-général Trenchard reconnut que les Français, et surtout le général de Castelnau, qui avait en charge les armées de l'Est, firent tout pour coopérer au mieux avec les Anglais et faciliter leur installation, même si les Français, qui menaient aussi des missions de bombardement sur l'Allemagne, étaient d'abord réticents car les raids aériens anglais pouvaient amener à des représailles sur les villes françaises. Des missions d'inspection permirent aux Anglais de surveiller la progression des travaux.
Le général de Castelnau, commandant des Armées de l'Est. Collection particulière. General de Castelnau, commander-in-chief of the French Army in Eastern France. Private collection. |
L'uniforme d'apparat du général de Castelnau (Musée militaire de Vincey) General de Castelnau's uniform (Military Museum of Vincey) |
Dès la seconde moitié d'octobre 1917, trois compagnies de l'Indian Labour Corps, formées de Bengalis et d'Oraons, soit environ 1200 hommes, se mirent au travail dans des conditions difficiles, à Azelot (deux compagnies se montant à 800 hommes), et à Rambervillers dans les Vosges (une compagnie de 400 hommes) où deux aérodromes étaient prévus; ces trois compagnies étant mentionnées dans le journal du général Newall aux dates des 15 et 29 octobre 1917 et dans le Journal des Marches et Opérations de la VIIIème Armée Française à la date du 14 octobre 1917:
"Note n° 19995. Par ordre du Général Commandant le GAE (Groupe d'Armées de l'Est), un détachement d'environ 800 travailleurs indiens cantonnés à partir du 15 octobre à Azelot, Manoncourt, Burthecourt-aux-Chênes".
De même, une note du Q.G. du Groupe d'Armées de l'Est du 16 octobre 1917 mentionne la venue de trois escadrilles anglaises à Ochey ainsi que l'autorisation donnée aux Anglais de construire de nouveaux aérodromes:
"En outre, l'aviation britannique est autorisée par le général commandant en chef à aménager, sur le territoire de la VIIIe armée, deux terrains destinés à deux groupes anglais de bombardement de jour (terrains d'Azelot et de Rambervillers) *.
Pour l'aménagement de ces terrains, l'aviation britannique fournit 800 travailleurs hindous Des ordres seront donnés ultérieurement pour leur ravitaillement.
La VIIIe armée fournira à l'aviation britannique les attelages nécessaires (30 environ par terrain).
Le service du génie de la VIIIe armée assurera la réquisition - ou la convention amiable - des 2 terrains. Les limites en seront indiquées par le capitaine Martel du G.B. 5.
La D.E. mettra à la disposition de l'aviation britannique, pour la confection de fascines de drainage, une coupe de bois près d'Azelot et une près du terrain dit "de Rambervillers".
P.O. Le chef d'Etat-Major
HELLOT
Les armées françaises dans la Grande Guerre, tome V, annexe n° 1219, pages 972-973, 1931-1937, sur Gallica.
Il nous semble toutefois que les compagnies indiennes vinrent dans les villages lorrains après le 15 octobre 1917, date de l'autorisation donnée par Castelnau, sans doute autour du 29, date à laquelle elles sont au travail selon le journal du général Newall.
Des photos furent prises par un officier français, le sous-lieutenant Reussner, à la gare de Ludres, près de Nancy, en octobre 1917, montrant des travailleurs indiens avec leur paquetage, sans doute à leur arrivée en Lorraine.
Comme le montre une photo prise par Auguste Goulden le 2 février 1918, il y eut aussi aménagement d'une route entre Saint-Nicolas-de-Port et Azelot, avec un terrassement important et l'utilisation de rouleaux compresseurs, plus la mise en place de poteaux électriques. Cette route est aujourd'hui la D 115.
Le 4 décembre 1917, le colonel Dixie, des Royal Engineers et le colonel Harrison du Works Directorate, vinrent sur place pour superviser la construction des aérodromes. Le gros des travaux se déroula entre février et mai 1918, période au cours de laquelle le photographe Auguste Goulden, de l'armée française, prit de nombreux clichés.
Deux travailleurs indiens à Manoncourt, près d'Azelot. Photo d'Auguste Goulden. ECPAD. Two Indian labourers at Manoncourt, near Azelot. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Les fascines de bois sont mises en piles à Manoncourt. Photo d'Auguste Goulden. ECPAD. Faggots are piled up by two Indian labourers. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Le 12 février 1918, les hangars étaient encore inachevés, car on ne voit que leur armature sur les photos, quelques - uns seulement sont terminés; le 6 mai 1918, les travaux forestiers et la coupe du bois étaient encore en cours.
Dans son rapport publié dans le 10ème Supplément de la London Gazette du 1er janvier 1919, le major-général Trenchard soulignait la difficulté et l'ampleur des travaux entrepris en Lorraine:
"Le pays est entièrement vallonné et recouvert de forêts et quand un endroit est à peu près plat, on y trouve des crêtes et des sillons profonds avec au moins un mètre de dénivelé entre le haut de la crête et le fond. Les aérodromes devaient supporter le poids d'engins massifs et la charge de bombes lourdes; pour que cela soit possible, il fallait réaliser avec grand soin un drainage à grande échelle, et il fallait prévoir l'installation d'une grosse centrale électrique pour alimenter les ateliers, l'éclairage ainsi que l'essence afin d'éviter de devoir tout transporter. Ces travaux étaient quasiment achevés le 1er novembre 1918".
En mai 1918, l'aérodrome d'Azelot était opérationnel car le 104th Squadron vint s'y installer le 20 mai, puis le 55th Squadron le 5 juin 1918. D'autres aérodromes furent construits dans les Vosges par d'autres unités.
Si l'on prend en compte les tombes des Indian Labourers dans le Grand Est et principalement en Lorraine, ainsi que les unités mentionnées dans les archives, on dénombre la présence de 17 compagnies de l'Indian Labour Corps, avec une certaine prudence à conserver car il y a des variations et des modifications dans les numéros des compagnies dans les listes et les registres de la CWGC. On trouve donc les unités suivantes:
- 29th (Santhal) coy. Elle faisant partie du Lushai Labour Corps et est représentée, selon la liste des défunts, par le jemadar (lieutenant) Mehta Khan, qui repose à Charmes-Essegney mais le registre imprimé indique qu'il faisait partie de la 52nd (Santhal) company ... Il est à noter que le Lushai Labour Corps servit surtout dans le Nord de la France où reposent des membres de la 29th company...
- 30th (?) coy. L'ethnie qui composait cette compagnie n'est pas précisée sur les listes et le registre.
- 31st (Bihar) coy.
- 32nd (Bihar) coy.
- 34th (Khasi) coy.
- 52nd (Santhal) coy.
- 53rd (Santhal) coy.
- 54th (Santhal) coy.
- 57th (Oraon) coy.
- 58th (Oraon) coy.
- 63rd (Bengal) coy.
- 64th (Bengal) coy.
- 72nd (United Provinces) coy.
- 75th (United Provinces) coy.
- 76th (Kumaon) coy.
- 78th (United Provinces) coy. représentée par le sowar (cavalier) Gopal Singh, du 9th Hodson's Horse, détaché dans l'Indian Labour Corps, mais le registre imprimé ne mentionne plus le numéro de sa compagnie...
- 81st (Santhal) coy.
La liste de la CWGC pour le cimetière de Charmes, indique aussi la 60th (Santhal) company, dans laquelle travaillait Jatla Murmu, mais cette compagnie venait de Birmanie (Burma) et il s'agit donc manifestement d'une erreur et le numéro a été corrigé dans le registre imprimé en 54th (Santhal) company...
Selon le journal du général Cyril Newall et l'article de madame Radhika Singha, ce furent les 63rd (Bengal), 64th (Bengal) et 57th (Oraon) companies qui furent envoyées en premier dans la région de Nancy dès la mi-octobre 1917, puis les 75th (United Provinces), 58th (Oraon), 72nd (United Provinces) companies qui arrivèrent dès novembre, ensuite les 34th (Khasi), 53rd (Santhal), et 31st (Bihar) companies qui étaient présentes dès la fin de 1917 (novembre - décembre 1917). Les autres compagnies mentionnées semblent arriver au début de 1918. En effet, le général Trenchard, au début de décembre 1917, avait réclamé la venue de nouvelles compagnies de l'Indian Labour Corps en Lorraine afin d'accélérer les travaux et accueillir rapidement les escadrilles prévues pour le printemps et l'été 1918.
Contrairement aux régions du Nord de la France qui avaient déjà vu des Cipayes, c'était la première fois que des Indiens venaient en Lorraine lors de la Grande Guerre.
L'effectif moyen de ces compagnies était de 400 hommes chacune (soit un peu moins que le chiffre théorique de 500 hommes), ce qui fait un effectif total d'environ 6800 Indian Labourers présents dans la région.
L'hiver fut une période très dure pour ces travailleurs indiens qui supportaient mal le climat lorrain car habitués, pour la plupart d'entre eux, à un climat chaud. Une ethnie, les Kumaonis, qui formaient la 76th company, venait de l'Himalaya (de l'actuel Uttarakhand) et n'eut à déplorer que la perte d'un homme alors que les ethnies de l'est de l'Inde souffrirent beaucoup plus. L'hiver 1917 - 1918 fut glacial, avec un vent qu'aucun obstacle n'arrêtait, et l'équipement donné aux Indiens par l'armée anglaise était sommaire: la tête était couverte le plus souvent par un turban soigneusement noué, avec une extrémité laissée pendante sur l'épaule, parfois par un bonnet; des vestes militaires (soit sous forme d'une "blouse" avec deux poches ou plus classiques avec quatre poches) et des manteaux couleur kaki issus de l'armée britannique, sans insigne visible, un ceinturon de cuir, des pantalons aussi couleur kaki dont le bas était serré avec des bandes molletières, et des brodequins. Certains Indiens préféraient toutefois travailler en chemise et on voit que les pantalons étaient tenus par des bretelles. Il y avait des poêles pour se réchauffer et aussi la possibilité de porter un épais gilet sans manche sous la veste (les bords dépassent) ou bien sur la veste.
Une tranchée de drainage à Azelot. 12 février 1918. Photo d'Auguste Goulden. ECPAD. A drainage trench is dug at Azelot. February 12, 1918. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Les fascines sont transportées à Azelot. 12 février 1918. Photo d'Auguste Goulden. ECPAD. The faggots are carried at Azelot. February 12, 1918. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
L'outillage était aussi très sommaire avec des pioches et des pelles avec lesquelles il fallait creuser un sol dur pour y installer des hangars et une piste de décollage. C'était bien un strict minimum et les Indiens souffrirent du froid et d'hypothermie, même si certains préféraient travailler en chemise, sans veste ni manteau. C'est aussi pour cela qu'il y a 4 tombes indiennes dans le cimetière d'Azelot.
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Indiens au travail à Azelot. Photo d'Auguste Goulden. ECPAD. Indians at work at Azelot. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Quant aux autres chantiers, ce sont les aérodromes de Bettoncourt, Roville-aux-Chênes et Xaffévillers (près de Rambervillers), qui furent aménagés par les Indian Labourers jusqu'en août 1918, ainsi que, sans doute, celui d'Autreville (mais ce dernier entre tardivement en service et il n'existe pas de tombes d'Indiens à proximité immédiate sauf, plus au sud, à Martigny-les-Bains et à Mandres-sur-Vair).
En effet, si l'on suit la chronologie donnée par le rapport du major-général Trenchard publié dans la London Gazette du 1er janvier 1919, la VIIIth Brigade disposait en mai 1918 de 4 "squadrons" (n°55 équipé de D.H. 4, n° 99 équipé de D.H. 9, n° 100 équipé de BE2e puis de FE2c à partir de janvier 1918, n° 216 équipé de HP 0 / 100 puis 0 / 400 à partir de mars 1918) en Lorraine, toutes ces unités étant stationnées à Ochey et / ou à Tantonville (le 55th squadron y alla le 7 novembre 1917).
Le 99th squadron (alors basé à saint-Omer) arriva à Tantonville le 4 mai 1918 avant d'être stationné à Azelot le 5 juin 1918 avec le 104th, équipé de D.H. 9, nouvellement venu en Lorraine, et le 55th (arrivés respectivement à Azelot les 20 mai et 5 juin 1918). Le 100th squadron, équipé désormais d'énormes bombardiers modèle "Handley-Page" 0 / 400, fut transféré à Xaffévillers le 10 août 1918 où se trouvait depuis le 3 août une nouvelle escadrille de ces mêmes bombardiers lourds, le 97th squadron; puis le 215th squadron (avec aussi des "Handley-Page") à partir du 19 août 1918. L'aérodrome de Bettoncourt accueillit le 110th squadron, équipé de D.H. 9 (des bombardiers plus petits) le 1er septembre 1918 ainsi que le 45th squadron (une escadrille de chasseurs d'escorte équipée de Nieuport 20) le 22 septembre 1918; Roville-aux-Chênes accueillit le 115th squadron (avec les énormes "Handley-Page") le 29 août 1918 (qui partit le 1er novembre 1918 pour le Nord de la France, à Saint-Inglevert), tandis que le 216th squadron (toujours avec les énormes "Handley-Page") fut transféré, depuis Ochey, à Autreville le 26 août 1918 puis à Roville-aux-Chênes le 28 septembre 1918.
Au maximum de ses effectifs, l'Independent Air Force comprenait désormais neuf escadrilles de bombardiers (55th, 97th, 99th, 100th, 104th, 110th, 115th, 215th, 216th squadrons) et une escadrille d'escorte (45th squadron). Les escadrilles de bombardiers lourds Handley - Page comprenaient chacune 10 avions, l'escadrille d'escorte 24 avions, ce qui fait plus d'une centaine d'avions anglais présents sur les aérodromes lorrains en 1918.
D'autres escadrilles devaient venir en Lorraine (en tout 60 étaient prévues selon le général Trenchard) mais la guerre s'acheva avant leur arrivée. Il est à noter que les Anglais, en plus des aérodromes mentionnés sur la carte, utilisèrent d'autres sites: Bainville-sur-Madon où fut installé le Q.G. de Newall, Vézelise où se trouvait un "Aircraft Park" (dépôt d'avions), l'aérodrome de Frolois plus d'autres terrains attribués par les Français, dans la Marne, la Meuse, la Meurthe-et-Moselle et les Vosges, qui sont mentionnés dans les archives de l'Aéronautique Militaire (Amanty dans la Meuse, Autrey, Auzainvilliers, Blevaincourt, Boujacourt, Chaumont - Sémilly, Dombasle-en-Xaintois, Dounoux, Etreval, Froville, Gerbécourt, Juvaincourt, Le Ménil-en-Xaintois, Mossoux, Rambervillers, Rosnay, Roville, Saint - Blin, Sandaucourt, Sémilly, Treslon) et dont l'état opérationnel et l'utilisation effective seront à étudier. De plus, les unités américaines de l'US Air Service devaient se joindre aux opérations de l'Independent Air Force et elles avaient reçu, dès la fin de 1917, des aérodromes à Ortoncourt, Saint-Remimont et Bettoncourt dans les Vosges.
Monsieur Bruno Lacroix, ancien pilote et historien, a trouvé des documents montrant que beaucoup de ces aérodromes ne furent pas opérationnels, les Anglais n'ayant pas eu le temps de mener à bien la totalité des travaux et d'amener toutes les escadrilles prévues en raison de la signature de l'Armistice le 11 novembre 1918.
Les principaux avions du Royal Flying Corps en Lorraine
The main aircraft of the Royal Flying Corps in Lorraine
Un Airco D.H. 9, bombardier léger britannique pour les Squadrons n° 99, 104, 110. (Wikipedia). An Airco D.H. 9, a light bomber (Squadrons n° 99, 104, 110). |
Un Airco D.H. 4, bombardier léger du RFC (Squadron n°55) . An Airco D.H. 4, a light bomber of the RFC (Squadron n° 55). |
Un FE 2 du 100 Squadron, RFC, partant pour une mission de bombardement. An FE 2 of 100 Sqn., RFC, about to set out on a bombing sortie. Chaz Bowyer, History of the RAF, Bison Books, 1988. |
Avec tous ces mouvements et les arrivées de nouvelles escadrilles équipées principalement de bombardiers lourds, on comprend mieux l'énorme travail que dut accomplir l'Indian Labour Corps en Lorraine ! Le 26 août 1918, Maurice Baring fit une nouvelle inspection en Lorraine et il semble qu'à cette date le gros des travaux était achevé mais il restait encore beaucoup à faire:
"Le 26 août 1918, nous fîmes une longue visite des escadrilles à Azelot et Xaffévillers. Beaucoup de notes ont été rédigées. Nous vîmes sept escadrilles et trois nouveaux aérodromes inoccupés. Voici quelques-unes de ces notes: on a besoin d'un rouleau (compresseur) à l'aérodrome de Frolois; à Azelot, la section anti-aérienne est en sous-effectif, leur ligue de football est à voir; la 55ème escadrille n'a ni radiateurs ni refroidisseurs; Baldwin n'a reçu aucun ordre pour le bombardement de Luxembourg; on a besoin de cendres en face des hangars à Azelot; le système de largage des bombes Gledhill est incomplet...".
Il manquait aussi des combinaisons de pilotes, des râteliers pour les bombes, du personnel (observateurs, armuriers etc).
Grâce aux documents recueillis par monsieur Bruno Lacroix, on peut souligner l'ampleur des travaux réalisés près de Rambervillers où deux aérodromes furent construits: celui de Roville-aux-Chênes et celui de Xaffévillers. Les Anglais élevèrent une véritable cité militaire avec les pistes et les hangars mais aussi des stocks d'essence et de matériel, des bâtiments techniques, des cuisines, des dépôts de munitions, une station de pompage pour l'alimentation en eau, des installations sanitaires, un hôpital de campagne, des baraquements pour le personnel dont une partie était logée dans le village.
Ces escadrilles, qui furent très actives, malgré des pertes importantes, contre les villes allemandes et sur le saillant de Saint - Mihiel durant l'été et l'automne 1918, quittèrent la région peu après l'Armistice du 11 Novembre, dès les 20 - 22 novembre 1918...
Le travail des labourers permit de mener à bien de nombreuses missions de bombardements sur les villes industrielles et les noeuds ferroviaires de l'ouest de l'Allemagne et en Moselle et d'affaiblir ainsi le potentiel militaire de l'ennemi et de saper son moral tout en remontant celui des Anglais. Néanmoins, les historiens de l'aviation estiment que ces bombardements n'eurent pas une très grande efficacité, en raison du nombre assez réduit d'avions utilisés lors des raids, du rayon d'action limité des bombardiers, de la bonne organisation de la défense anti-aérienne allemande, de l'imprécision des instruments de visée aggravée par le mauvais temps, de l'emploi de bombes de petite taille alors que les "Handley - Page" pouvaient emporter une bombe de 750 kg qui fut peu utilisée. Les dégâts occasionnés sur les villes allemandes furent donc limités mais ce ne fut pas la faute des Indian Labourers.
Cassandra Digney, Nassima Houssaoui, Sabina Ikhlazova et Camille Launois
Summary in English:
In 1917 more and more men
were urgently needed, and after their recruitment the companies of the ILC were
sent to France by April. The trip to France was long, unpleasant and boring. We
can see the case of the 22nd Manipur Labour Corps on the map. The
Indian labourers had to go to Bombay by train and set sail for France, crossing
the Indian Ocean to reach Aden, then crossing the Suez Canal and the
Mediterranean Sea to disembark in Italy in Taranto or in France in Marseilles. Most
of the labourers had never seen the sea and the living conditions in the boats
were uncomfortable. The Indians could admire the landscape or sing traditional songs…
The first Indian labourers from
the United Provinces (6,370 men) arrived in Marseilles on April 16, 1917 and
other companies, amounted to 20,000 men, joined them soon after. The different
companies were scattered: some of them stayed in Marseilles but most of them
were sent to Northern France. The Indian labourers had to cut wood, build
roads, make bricks, carry supplies in devastated areas located near the
frontline. In March and April 1918 the Indians had to cope with the great
German offensives which overran the British in Flanders and Picardie. They kept
on doing their tasks with calm.
But Indian labourers were
needed in Eastern France too. Indeed, in October 1917 the British decided to
increase the air raids to strike Germany in retaliation for the German air
raids on London, to boost the morale of the British, to destroy the German
factories. Lorraine was chosen as the best place to carry out those missions.
The Royal Flying Corps shared a great airfield at Ochey with the French. New
squadrons should join the first British units and Ochey was too narrow and
Tantonville airfield as well. New airfields should be built in the south of
Nancy to welcome the squadrons forming the 41st Wing, later the
VIIIth Brigade under the command of Lieutenant-general Newall, that unit became
the Independent Air Force in June 1918.
Major-general Trenchard,
commander of the Royal Flying Corps and General de Castelnau,
commander-in-chief of the French armies in Eastern France reached an agreement
(sent to London on October 6, 1917): the French accepted to lend some grounds
to the British and to provide food, horses, trucks and equipment and to billet
the personnel; the British should build the airfields with “coloured” manpower.
On October 14, 1917, a memo issued by General de Castelnau announced the
arrival of 800 Indian labourers at Azelot, Manoncourt, Burthecourt-aux-Chênes
from October 15.
So, by October 15, 1917,
some companies of the ILC began to work in Lorraine:
- Mid-October 1917: the 63rd
and 64th Bengal companies and the 57th Oraon company,
working at Azelot and Rambervillers (with two airfields: Xaffévillers and
Roville-aux-Chênes).
- November 1917: 72nd
and 75th United Provinces companies and 58th Oraon
company.
- November-December 1917: the
31st Bihar, 34th Khasi and 53rd Santhal companies.
- After January 1918: the 30th,
32nd (Bihar), 52nd, 54th, 81st (Santhal),
76th (Kumaon), 78th (United Provinces) companies.
At least 16 companies of the
ILC went to Lorraine and maybe another one, the 29th (Santhal)
company mentioned in the CWGC registration with Jemadar Mehta Khan but the list
and the registration do not indicate the same unit (according to the list Mehta
Khan was a member of the 29th company, but according to the
registration he belonged to the 52nd company…).
On average, the strength of a company amounted to 400 men, so about 6,800 Indian labourers went to Lorraine. The labourers came from Eastern India (the United Provinces, Bihar, Santhal, Bengal).
On average, the strength of a company amounted to 400 men, so about 6,800 Indian labourers went to Lorraine. The labourers came from Eastern India (the United Provinces, Bihar, Santhal, Bengal).
In October 1917, the Royal
Flying Corps could use two airfields which welcomed new squadrons soon after:
- Ochey: the 99th,
100th, 216th Squadrons.
- Tantonville: the 55th
Squadron by November 7, 1917.
Five new airfields were
built to welcome the previous units (Ochey and Tantonville were too narrow) or
new ones:
- Azelot: the 104th, 55th and
99th Squadrons.
- Bettoncourt: the 110th and
45th Squadrons.
- Roville-aux-Chênes: the 115th
Squadron.
- Xaffévillers : the 97th,
100th, 215th Squadrons.
-
Autreville : the 216th Squadron.
Most of the squadrons were
equipped with heavy bombers (Handley-Page 0/400) or light bombers Airco D.H. 9. A road was built to link Azelot to Saint-Nicolas-de-Port (nowadays the D 115). Other locations are mentioned in the agreement but we do not know whether the airfields were actually built or operational. The British set up an aircraft park at Vézelise and had an airfield at Frolois. On August 26, 1918, Maurice Baring visited Azelot and Xaffévillers and he wrote in his diary that three new airfields were unoccupied.
The works were completed by
May 1918 when the 104th Squadron arrived at Azelot on May 20; the
other airfields were operational by August and September 1918. Maurice Baring,
an important British officer, visited that area twice. On November 10 1917, he
described Rambervillers (with Xaffévillers and Roville-aux-Chênes) as “a Scotch moor … The ridge and furrow was so
enormous, the ground so marshy that it did not seem possible, at this time,
that this stretch of bleak sopping country could ever become an aerodrome. It
did nethertheless.”
On August 26, 1918, he went
back to Azelot and Xaffévillers and noticed the lack of equipment.
But, thanks to the new airfields and the works
of the Indian labourers, the British, with the Independent Air Force, could
bomb annexed Lorraine (Metz) and the great industrial cities of the Rhineland
in 1918. Soon after the Armistice, on
November 11, 1918, the British squadrons left Lorraine…
BIBLIOGRAPHIE:
- Chaz BOWYER, History of the RAF, Bison Books, 1988.
- Robin CROSS, The bombers. The illustrated story of offensive strategy and tactics in the twentieth century, Bantam Press, 1987.
- Robin CROSS, The bombers. The illustrated story of offensive strategy and tactics in the twentieth century, Bantam Press, 1987.
- C. J. JEFFORD, RAF Squadrons. A comprehensive records of the movement and equipment of all RAF squadrons and their antecedents since 1912, Airlife, 2001.
- Andrew WHITMARSH, British strategic bombing 1917 - 1918: The Independent Air Force.
http://www.academia.edu/8630931/British_strategic_bombing_1917-1918_The_Independent_Force
- George K. WILLIAMS, Biplanes and bombsights: British bombing in World War I, Air University Press Team, 1986.
SOURCES:
- Maurice BARING, Flying Corps Headquarters 1914 - 1918, London, 1920.
- Auguste GOULDEN, Photographies conservées à l'ECPAD (Fort d'Ivry) et fournies par le docteur Yves Grosse.
- Tenth Supplement to the London Gazette, December 31, 1918, published on January 1, 1919, sur
https://www.thegazette.co.uk/London/issue/31101/supplement/133
Le secteur de Nancy en 1917
The area of Nancy in 1917
Lorsque les compagnies de l'Indian Labour Corps arrivèrent dans les environs de Nancy à la mi-octobre 1917, le front s'était stabilisé depuis le printemps de 1915 et les féroces combats du Bois-le-Prêtre. La ligne de front passait au niveau du nord de Pont-à-Mousson et suivait en gros la frontière entre la France et la Moselle annexée, le long de la Seille.
Le secteur de Nancy pouvait apparaître comme "calme" dans le sens que les opérations militaires étaient très limitées en 1917-1918. Nancy, ainsi que Dombasle-sur-Meurthe et Lunéville avaient été bombardées à partir du 1er janvier 1916 par un canon allemand de 380 mm, le "Long Max", dissimulé dans les environs de Château-Salins, près de Hampont, mais celui-ci, fortement contrebattu par l'artillerie française avait cessé ses tirs après le 16 février 1917. La ville de Nancy subissait toutefois des bombardements aériens de la part des "Gothas", des bombardiers lourds allemands, qui causèrent des dégâts importants jusqu'en octobre 1918.
La ligne de front ne bougea qu'après septembre 1918 avec la réduction du Saillant de Saint-Mihiel puis l'offensive Meuse-Argonne. La grande offensive de Lorraine, prévue en direction de Metz pour le 14 novembre 1918, n'eut jamais lieu en raison de la signature de l'Armistice.
En octobre 1917, le grand événement d'ordre militaire dans les environs de Nancy fut la destruction par la DCA française du zeppelin L 44 qui s'écrasa à Saint-Clément, près de Lunéville, le 20 du mois, après un raid sur l'Angleterre, et, le même jour, l'atterrissage forcé du zeppelin L 49, en perdition, à Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne) et la capture de son équipage.
La ligne de front ne bougea qu'après septembre 1918 avec la réduction du Saillant de Saint-Mihiel puis l'offensive Meuse-Argonne. La grande offensive de Lorraine, prévue en direction de Metz pour le 14 novembre 1918, n'eut jamais lieu en raison de la signature de l'Armistice.
En octobre 1917, le grand événement d'ordre militaire dans les environs de Nancy fut la destruction par la DCA française du zeppelin L 44 qui s'écrasa à Saint-Clément, près de Lunéville, le 20 du mois, après un raid sur l'Angleterre, et, le même jour, l'atterrissage forcé du zeppelin L 49, en perdition, à Bourbonne-les-Bains (Haute-Marne) et la capture de son équipage.
Nancy en 1916-1917
Nancy in 1916-1917
Nancy in 1916-1917
A German airplane shot down near Nomeny after the bombing of Nancy and exhibited at Stanislas Square. Private collection. |
Nancy after the German air raids carried out by some heavy bombers, the "Gothas" (1917-1918). Private collection. |
L'est de la Lorraine en 1916-1917
The east of Lorraine in 1916-1917
The east of Lorraine in 1916-1917
Les villages dévastés lors de la bataille du Grand Couronné (septembre 1914), entre Lunéville et Rambervillers
The villages devastated in Septembre 1914 during the battle of le Grand Couronné, between Lunéville and Rambervillers
The ruins of Gerbéviller sacked by the Germans in September 1914. Private collection. |
The ruins of Rozelieures, the furthermost point reached by the Germans in September 1914. Private collection. |
Saint-Pierremont, near Rambervillers, bombed by the Germans in September 1914. Private collection. |
Xaffévillers, near Rambervillers, bombed by the Germans in September 1914. Private collection. |
Une Lorraine intacte (au sud de Nancy) à l'ouest de la ligne Lunéville-Rambervillers
The undamaged area of Lorraine (in the south of Nancy) located westwards the Lunéville-Rambervillers line
Charmes and the River Moselle. Private collection. |
Saint-Remimont, a picturesque village of Lorraine. Private collection. |
Les travailleurs indiens allaient se retrouver à 30 - 40 km du front, loin des bombardements conformément aux promesses faites par les recruteurs, et dans des villages intacts comme Azelot, Manoncourt, Burthecourt-aux-Chênes, à l'exception toutefois de ceux situés entre Lunéville et Rambervillers, comme Saint-Pierremont, Roville-aux-Chênes et Xaffévillers, qui avaient été endommagés en septembre 1914. Lorsque l'aérodrome d'Azelot fut bombardé par les Allemands le 5 juillet 1918 puis les 30-31 août 1918, les compagnies de l'Indian labour corps étaient déjà parties.
L'adjudant Edouard Coeurdevey, du 167ème R.I., décrit Xaffévillers en avril-mai 1918 lorsque son unité y stationna: le village portait les traces des combats de 1914 avec son église détruite (ainsi que les maisons environnantes), et la campagne, dans les environs, était encore parsemée de matériel militaire et de cadavres décomposés qui gisaient dans les buissons depuis quatre années. Il mentionne, à la date du 23 avril 1918, la présence des Indiens ainsi que des soldats anglais et américains qui occupaient le village avant l'arrivée des Français:
"Arrivée à Xaffévillers à 10 heures. Ma section est bien logée dans deux fermes. Greniers propres, mais sans aménagement. Dans les rues: des Hindous, des officiers anglais, des Américains. Mauvais voisins pour nous. Pas de lait, pas d'oeufs, pas de chambres. Nous ne soutenons pas la concurrence. Je cherche en vain un lit. Je me résigne joyeusement à un coin de grenier près de mes hommes".
Carnets de guerre. 1914-1918, page 1048.
Par contre, Charles Hanin confirme que l'hiver 1917-1918 fut très froid en Lorraine avec un vent glacial et de la neige dans les Vosges, des pluies soutenues alternant avec un gel très fort et une bise glaciale, plus un brouillard glacé, dans les environs de Nancy, chaque redoux transformant le terrain en bourbier. Le sous-lieutenant René Charles Andrieu, du 9ème RI, qui se trouvait dans la Meuse (à Commercy, Bar-le-Duc et Verdun), décrit le même temps exécrable d'octobre 1917 à mars 1918: pluies fortes avec froid intense en octobre-novembre 1917, puis chutes de neige et fortes gelées alternant avec des périodes de redoux et de dégel jusqu'en mars 1918.
Edouard Coeurdevey fait des observations identiques, mentionnant qu'il faisait - 22 degrés à Miniéville le 4 janvier 1918 et que la Meurthe était partiellement gelée à Baccarat. En avril - mai 1918, c'est l'humidité qui domine avec des bruines fréquentes dans le secteur de Xaffévillers.
On peut aussi noter que les travailleurs indiens ne furent pas les seuls contingents étrangers à venir en Lorraine en 1917: des Britanniques avec les pilotes et mécaniciens du Royal Flying Corps plus des membres du Labour Corps et des sapeurs et des ingénieurs, les pilotes et soldats américains (qui connurent leur premier combat à Bathelémont-lès-Bauzemont le 3 novembre 1917), les Canadiens du Forestry Corps et du Royal Flying Corps, des unités du Chinese Labour Corps et des contingents coloniaux français venus d'Indochine, de Madagascar (avec des travailleurs aux carrières de Morey), d'Afrique du Nord (Arabes à Custines, Kabyles à Gerbéviller), des soldats italiens qui effectuèrent des travaux de génie à Messein et dans les environs de Nancy (des ponts notamment), étaient aussi présents en 1917-1918.
Le "Journal de la Meurthe et des Vosges" du samedi 25 mai 1918 souligne, dans un article intitulé Visions de Guerre, cette grande diversité de nationalités que l'on voyait déambuler à Nancy à l'époque:
Selon le général Trenchard, il y avait 2500 travailleurs employés à la construction des nouveaux aérodromes au début de décembre 1917 et, comme nous l'avons vu, il réclama la venue de nouvelles compagnies de l'Indian Labour Corps. A Xaffévillers, les Indiens marquèrent les esprits des habitants:
"Les travaux d'infrastructure étaient effectués par des travailleurs hindous. Des hommes malingres, au regard sombre, au teint mat, coiffés de turban, d'une discrétion soumise, qui étaient hébergés au camp. Ces malheureux souffraient considérablement du froid et payaient un lourd tribut à la dysenterie qui les décimait. Leurs colonnes pitoyables gagnaient leur chantier chaque matin, tandis que les ambulances évacuaient les malades vers les hôpitaux de campagne."
Récit d'un habitant de Xaffévillers relatant des souvenirs familiaux, très aimablement communiqué par monsieur Bruno Lacroix.
Summary in English:
In the mid-October 1917,
when the first companies of the Indian
Labour Corps began to work in the south of Nancy, the area experienced few
military activities and could be regarded as a quiet sector. After some
ferocious battles until March and April 1915 (the fighting of Bois-le-Prêtre,
in the north of Nancy), the frontline, which followed approximately the border
between France and annexed Lorraine, along the River Seille, did not move until
September 1918 and the offensive on the Salient of Saint-Mihiel, and soon
later, the Meuse-Argonne offensive. The military operations were limited with
patrols to keep at bay infiltrators, some hit-and-run raids (to catch some
prisoners), sporadic artillery duels. Huge mines were sometimes detonated under
the trenches, for example at Leintrey where deep craters are still visible.
But the great cities of that
part of Lorraine were shelled by a gigantic German gun nicknamed “The Tall
Max”, located near Château-Salins, 40 kilometers from Nancy. Nancy,
Dombasle-sur-Meurthe and Lunéville were hit by shells weighing 700 kilos, from
January 1, 1916 to January 17, 1917 ! The martyrdom of Nancy lasted until
October 1918 with nocturnal aerial raids carried out by German bombers, the
“Gothas”, which destroyed a part of the city and led to the evacuation of
numerous inhabitants.
The great military event, on
October 20, 1917, was the destruction of a zeppelin (L 44) at Saint-Clément,
near Lunéville which was shot down by a French anti-aircraft gun and the capture
of another zeppelin (L 49) at Serqueux in the south-west of Nancy.
Three French soldiers,
Seconds-Lieutenants Charles Hanin (serving among the Zouaves) and René Charles
Andrieu, and Adjutant Edouard Coeurdevey described the area in 1917-1918. The
frontline was often quiet, with sparse networks of trenches linked to
strongholds or fortified posts. Adjutant Coeurdevey had to improve the trenches
with his platoon, often threatened with shells, gas and bullets. The barbed
wires were rusty and the No Man’s Land was broad and covered with grass and
bushes. Undamaged villages could be seen beyond the trenches. As it was said
before, the military actions were limited and Second-Lieutenant Charles Hanin
crossed the No Man’s Land with his men to capture some Germans, brought back later
to the French lines. They confirmed that the winter of 1917-1918 was very cold (the
temperature hit minus 22 degrees at Miniéville on January 4, 1918 !) with a
frozen wind and snow in the Vosges, heavy rains alternated with freeze, cold
wind and mists near Nancy, each thaw resulting in a quagmire until March 1918. In
April and May 1918, air humidity was high with frequent drizzle.
The Indian labourers were
billeted in an area located in the south of Nancy. The ones who worked between
Lunéville and Rambervillers (Saint-Pierremont, Xaffévillers,
Roville-aux-Chênes, Gerbeviller) were in a damaged zone: the villages had been
partially destroyed during the German offensive of August- September 1914 and
the battle of Le Grand Couronné. The French managed to drive back the German
eastwards and, in 1917 – 1918, the frontline was 30 – 40 kilometers from the
barns or villages they lived in. Adjutant Edouard Coeurdevey notices the
presence of the Indians at Xaffévillers on April 23, 1918 (with some British officers
and Americans) and the “competition” with the French soldiers who could not find
easily milk, eggs and bedrooms… The other labourers, working westwards, were
billeted in an undamaged zone at Azelot, Manoncourt, Burthecourt-aux-Chênes or
near Charmes.
The Indian labourers were
not the only foreign troops in that part of Lorraine in 1917 – 1918: the
workers of the Chinese labour corps and Canadian Forestry corps were present
too with, at least, a British labour company (137th coy.) and of
course numerous British pilots of the Royal Flying Corps, engineers and
sappers, American soldiers, Italian engineers, and French colonial troops or
workers from Indochina, Madagascar, North Africa.
Des conditions de travail difficiles.
En se référant à des photos, prises entre février et mai 1918 par un opérateur Français, Auguste Goulden, des Indiens volontaires pour la Première Guerre Mondiale, nous voyons que les personnes qui étaient affectées pour travailler pour l’aérodrome d'Azelot (près de Nancy) n'étaient pas vraiment dans de bonnes conditions.
En effet , il y avaient deux
choses très importantes qui devaient être insupportables pour eux :
-Tout d'abord, les
instruments de travail : nous voyons que leurs instruments de travail
n'étaient pas très professionnels, très modestes, en gros, assez primitifs.
Il n'y en avait pas un grand nombre, or les Indiens travaillaient en groupe. Les labourers avaient des haches pour couper le bois dans la forêt proche, des serpettes pour équarrir les branches et les troncs des petits arbres, plus des meules pour aiguiser les lames, ainsi que des herminettes pour équarrir les grumes, c'est-à-dire les troncs des arbres coupés (le labourer présenté au début du site tient une herminette), des pioches et des pelles afin de creuser les fondations des bâtiments et les tranchées de drainage. On retrouve bien les outils figurant sur leur emblème !
Les Indian Labourers étaient sous les ordres de leurs officiers: commandant, assistant-commandant, et à l'échelle de la compagnie un capitaine ou un major, dix "havildars", c'est-à-dire des sergents, une vingtaine de "naiks", c'est-à-dire des caporaux, un "supervisor" (contremaître), qui avaient sous leurs ordres des chefs d'équipe ("headmen" pour les grandes équipes et "mates" pour les petites).
Ces supérieurs se distinguent sur les photos par le port d'une casquette de l'armée anglaise entourée d'une bande de tissu cachant l'insigne, ou parfois un turban pour ceux d'origine indienne, par une sacoche en bandoulière, plus une canne à la main, marque du rang occupé et instrument de punition. La manutention se faisait à dos d'homme ou sur les épaules. Les travailleurs portaient sur l'épaule une longue perche dont chaque extrémité était passée au travers de faisceaux ou fascines de bûches liées par une corde.
Curieusement, on ne voit pas de machine, de camion ou de chariot sur les photos alors que les Français devaient en fournir mais les films tournés à Azelot montrent bien en arrière-plan la présence de ces chevaux (qui semblent utilisés pour aplanir le terrain) et de chariots, plus des camions.
Les quantités de bois coupées sont impressionnantes et cela confirme le bon "rendement" des travailleurs indiens et leur efficacité. Il fallait aussi ramasser les pierres qui parsemaient le terrain et les travailleurs indiens les rassemblaient dans un panier qui était ensuite porté sur la tête, puis vidé sur un emplacement précis.
On peut donc diviser le chantier en deux parties: la coupe de bois dans la forêt, afin de fabriquer des claies qui servaient à maintenir les parois des tranchées de drainage et de fournir des poutres pour stabiliser les futures pistes d'atterrissage, et l'aménagement du terrain d'aviation en lui-même (creusement des tranchées de drainage, ramassage des pierres, nivellement du terrain, empilement des fascines, et installation des hangars et des pistes).
Selon un rapport de 1923 concernant l'Independent Air Force, et adressé à Newall, il y eut 20 miles (32 km) de canalisations et / ou de drainages (drains) réalisés à Azelot et 60 miles (96 km) à Xaffévillers afin de préparer le terrain et le rendre propre à accueillir les infrastructures.
Chose remarquable indiquée par monsieur Olivier Métrot, actuel directeur de l'aérodrome d'Azelot, le système de drainage, construit par les Indiens sous la direction d'ingénieurs anglais, fonctionne toujours, sous la forme de fossés, et permet aux pistes de rester sèches contrairement au terrain environnant, plus humide ! Monsieur Christian Forget, maire d'Azelot, a aussi indiqué que les Anglais firent installer une conduite d'eau depuis la forêt d'Azelot (au lieu-dit la Source des Anglais) afin d'alimenter l'aérodrome. Après l'Armistice de 1918, les Anglais proposèrent de laisser cette conduite aux villageois qui la refusèrent, ayant des puits pour s'approvisionner en eau ! Cette conduite fut alors détruite...
Les travaux forestiers à Azelot. 6 mai 1918. ECPAD.
Forest works at Azelot, May 6, 1918. ECPAD.
Forest works at Azelot, May 6, 1918. ECPAD.
Les Indian Labourers étaient sous les ordres de leurs officiers: commandant, assistant-commandant, et à l'échelle de la compagnie un capitaine ou un major, dix "havildars", c'est-à-dire des sergents, une vingtaine de "naiks", c'est-à-dire des caporaux, un "supervisor" (contremaître), qui avaient sous leurs ordres des chefs d'équipe ("headmen" pour les grandes équipes et "mates" pour les petites).
Un officier britannique à Azelot. 12 février 1918. Cliché Auguste Goulden. ECPAD. A British officer at Azelot. February 12, 1918. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Deux chefs d'équipe indiens à Azelot. 12 février 1918. Cliché Auguste Goulden. ECPAD. Two headmen at Azelot. February 12, 1918. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD. |
Ces supérieurs se distinguent sur les photos par le port d'une casquette de l'armée anglaise entourée d'une bande de tissu cachant l'insigne, ou parfois un turban pour ceux d'origine indienne, par une sacoche en bandoulière, plus une canne à la main, marque du rang occupé et instrument de punition. La manutention se faisait à dos d'homme ou sur les épaules. Les travailleurs portaient sur l'épaule une longue perche dont chaque extrémité était passée au travers de faisceaux ou fascines de bûches liées par une corde.
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Curieusement, on ne voit pas de machine, de camion ou de chariot sur les photos alors que les Français devaient en fournir mais les films tournés à Azelot montrent bien en arrière-plan la présence de ces chevaux (qui semblent utilisés pour aplanir le terrain) et de chariots, plus des camions.
Les quantités de bois coupées sont impressionnantes et cela confirme le bon "rendement" des travailleurs indiens et leur efficacité. Il fallait aussi ramasser les pierres qui parsemaient le terrain et les travailleurs indiens les rassemblaient dans un panier qui était ensuite porté sur la tête, puis vidé sur un emplacement précis.
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On peut donc diviser le chantier en deux parties: la coupe de bois dans la forêt, afin de fabriquer des claies qui servaient à maintenir les parois des tranchées de drainage et de fournir des poutres pour stabiliser les futures pistes d'atterrissage, et l'aménagement du terrain d'aviation en lui-même (creusement des tranchées de drainage, ramassage des pierres, nivellement du terrain, empilement des fascines, et installation des hangars et des pistes).
Selon un rapport de 1923 concernant l'Independent Air Force, et adressé à Newall, il y eut 20 miles (32 km) de canalisations et / ou de drainages (drains) réalisés à Azelot et 60 miles (96 km) à Xaffévillers afin de préparer le terrain et le rendre propre à accueillir les infrastructures.
Chose remarquable indiquée par monsieur Olivier Métrot, actuel directeur de l'aérodrome d'Azelot, le système de drainage, construit par les Indiens sous la direction d'ingénieurs anglais, fonctionne toujours, sous la forme de fossés, et permet aux pistes de rester sèches contrairement au terrain environnant, plus humide ! Monsieur Christian Forget, maire d'Azelot, a aussi indiqué que les Anglais firent installer une conduite d'eau depuis la forêt d'Azelot (au lieu-dit la Source des Anglais) afin d'alimenter l'aérodrome. Après l'Armistice de 1918, les Anglais proposèrent de laisser cette conduite aux villageois qui la refusèrent, ayant des puits pour s'approvisionner en eau ! Cette conduite fut alors détruite...
Les Indian Labourers dans la forêt d'Azelot. Les haches sont aiguisées. Cliché Auguste Goulden. 1918. ECPAD. The Indian Labourers in Azelot forest sharpening the blades of their axes. Photo taken by Auguste Goulden in 1918. ECPAD. |
La coupe du bois à Azelot. 12 février 1918. Cliché Auguste Goulden. ECPAD. An Indian woodcutter at Azelot. February 12, 1918. Photo taken by Auguste Goulden. ECPAD |
- Le climat
« glacial » : les Indiens étaient habitués à un climat chaud. Normalement, selon un ordre du Quartier Général anglais du 21 décembre 1917, qui avait été alarmé par le grand nombre d'engelures et d'amputations liées au froid, seul les Indiens recrutés dans les collines du Nord de l'Inde pouvaient être employés dans le Nord de la France...
A Azelot, les Indian Labourers disposaient d'une cuisine, une baraque sommaire qui devait contenir les stocks de nourriture, et d'un poêle extérieur. Ils faisaient aussi la cuisine à l'air libre, sur des feux et ils avaient fabriqué des fours en terre pour cuire les chapatis et les naans. Selon les règlements de l'ILC, la viande de boeuf était proscrite pour les Hindous et les Sikhs, de même que le porc pour les Musulmans qui devaient recevoir du mouton ou de la chèvre. Les plats étaient préparés séparément pour les diverses communautés.
Les films tournés à Azelot montrent que les Indian Labourers étaient logés dans des baraquements semi-circulaires, sur le site même de l'aérodrome, comme le demandait le Major-Général Trenchard.
A Azelot, les Indian Labourers disposaient d'une cuisine, une baraque sommaire qui devait contenir les stocks de nourriture, et d'un poêle extérieur. Ils faisaient aussi la cuisine à l'air libre, sur des feux et ils avaient fabriqué des fours en terre pour cuire les chapatis et les naans. Selon les règlements de l'ILC, la viande de boeuf était proscrite pour les Hindous et les Sikhs, de même que le porc pour les Musulmans qui devaient recevoir du mouton ou de la chèvre. Les plats étaient préparés séparément pour les diverses communautés.
Les films tournés à Azelot montrent que les Indian Labourers étaient logés dans des baraquements semi-circulaires, sur le site même de l'aérodrome, comme le demandait le Major-Général Trenchard.
Indiens au repos près d'un feu. Azelot, 12 février 1918. Cliché Auguste Goulden, ECPAD. Indians at rest at Azelot. Photo taken by Auguste Goulden, Februray 12, 1918, ECPAD. |
La cuisine organisée par les Indiens à Azelot.
12 février 1918. Clichés Auguste Goulden. ECPAD.
The Kitchen of the Indians at Azelot.
February 12, 1918. ECPAD.
12 février 1918. Clichés Auguste Goulden. ECPAD.
The Kitchen of the Indians at Azelot.
February 12, 1918. ECPAD.
Arrivés en France et surtout en Lorraine, ce fut un
choc pour eux. L'un des officiers anglais, Maurice Baring, décrivant la construction de l'aérodrome de Rambervillers lors d'une tournée d'inspection, le 10 novembre 1917, a dit qu'il « faisait atrocement
froid » et que l'« aérodrome était en cours de construction
sur ce qui ressemblait à une lande écossaise, avec l'aide de quelques troupes
indiennes »
Plusieurs Indiens sont "morts
de froid" ou de maladies pulmonaires (pneumonie, bronchite, grippe). Cela a été confirmé par le registre de la Commonwealth War Graves Commission où des "labourers" sont notés "died of sickness", "morts de maladie" ou "died of pneumonia", "morts d'une pneumonie". En tout, on compte 76 tombes d'Indian Labourers en Lorraine avec celle de Vitry-le-François.
Certaines unités de "labourers" ont travaillé dans les Vosges afin de couper du bois pour les chantiers et des photos montrent leur présence dans de petits villages et les relations amicales entre Indiens et villageois, notamment à Clézentaine dans les Vosges, non loin de Rambervillers, où l'on peut voir un groupe de travailleurs avec leurs supérieurs anglais.
On doit aussi noter que les Indian Labourers furent aidés par d'autres éléments, très cosmopolites, du Labour Corps et par les travailleurs venus de l'Empire colonial français: des troupes "de couleur" françaises, des gens de Cochinchine (des Vietnamiens du Sud), des travailleurs du Chinese Labour Corps, et des Canadiens du Canadian Forestry Corps car le cimetière de Charmes - Essegney comporte quatre tombes chinoises et huit tombes canadiennes dans lesquelles reposent des membres de ces corps (plus celles de militaires canadiens). Il y eut aussi une Labour Company de l'armée anglaise dans les Vosges puisque l'on trouve la tombe du Private J. Westwood, décédé le 8 mars 1918, ancien soldat du 10th Battalion des Scots Fusiliers, transféré à la 137th company du Labour Corps, au cimetière de Rambervillers.
Certaines unités de "labourers" ont travaillé dans les Vosges afin de couper du bois pour les chantiers et des photos montrent leur présence dans de petits villages et les relations amicales entre Indiens et villageois, notamment à Clézentaine dans les Vosges, non loin de Rambervillers, où l'on peut voir un groupe de travailleurs avec leurs supérieurs anglais.
Des "Indian Labourers" à Clézentaine (Vosges), travaillant peut-être pour le chantier de Roville-aux-Chênes (?).
Indian Labourers at Clézentaine (Vosges), maybe working at Roville-aux-Chênes (?).
Source de la photo: Pages 14-18 Forum, http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/autre/civils-creusent-tranchees-sujet_14177_1.htm
|
Les travailleurs indiens près de Gerbéviller en 1917. On notera, comme à Azelot, les baraquements semi-circulaires (les baraques Nissen) dans lesquels logeaient les Indiens et les feux allumés en plein air pour la cuisine. The Indian labourers near Gerbéviller in 1917. We can notice the cabins (the Nissen huts) similar to those of Azelot and the fires outside. Fonds des Albums Valois VAL 157 / 008 et 157 / 009, Musée des Mondes Contemporains. |
Maria Camara
La vie quotidienne des Indian Labourers en Lorraine
Il semble aussi que les Français aient supervisé les travaux car on remarque leur présence sur les chantiers et pas seulement comme "visiteurs". Selon l'accord passé avec les Anglais, les Français ne se contentaient pas de prêter les terrains; ils devaient fournir du matériel et de la nourriture. Sur place, l'avancement des travaux était surveillé par des officiers anglais soit du Royal Flying Corps ou des Royal Engineers, et les équipes de travailleurs étaient dirigées par des "supervisors" (contremaîtres) et des "headmen" et des "mates" (des chefs d'équipe), soit Indiens soit Anglais.
Maurice Baring, qui était officier d'Etat - Major auprès du général Trenchard dans le Royal Flying Corps, a relaté sa visite, avec le général et La Ferrière, un officier français, dans le sud de Nancy les 9 et 10 novembre 1917.
Après avoir visité Ochey et les deux escadrilles de bombardiers, Baring se rendit à Bainville-sur-Madon, "un petit village où vivait Newall. Je fus logé dans le village". Ensuite, le 10 novembre 1917:
"Le jour suivant, nous sommes allés aux escadrilles, à la 55ème escadrille où nous avons déjeuné, au parc d'aviation de Vézelise et ensuite au Quartier Général français où nous vîmes le commandant Picard, et le général eut un entretien avec le général de Castelnau qui commandait le groupe d'armées de l'Est. Il faisait horriblement froid. Quand la discussion à l'Etat-Major fut finie, nous allâmes à Rambervillers, où un aérodrome était en train d'être bâti sur ce qui ressemblait à une lande écossaise désolée, avec l'aide de quelques troupes indiennes. Les crêtes et sillons du terrain étaient si énormes, le sol si marécageux, qu'il ne semblait pas possible, à cette époque, que cette étendue de terre située dans une campagne morne et trempée, pourrait devenir un jour un aérodrome. Néanmoins, cela fut fait".
Il ne reste qu'une poignée de lettres écrites par les travailleurs de l'ILC car le Comité de Censure, malgré l'érudition de ses membres, ne parvenait pas à lire les langues employées pour les écrire et celles qui étaient lues étaient considérées comme n'ayant pas le moindre intérêt.
Même si la paye s'élevait à 20 roupies par mois, les membres de l'Indian Labour Corps ne bénéficiaient pas de grands avantages. Pour notre région, grâce aux remarquables travaux de madame Radhika Singha, la 57th (Oraon) company est l'unité la mieux connue grâce à son recrutement effectué parmi des Oraons (un groupe tribal de l'est de l'Inde, près du Bengale) catholiques, dirigés par un père jésuite belge, Henri Floor, qui était leur "supervisor"; de même la 64th (Bengal) company comprenait un groupe de catholiques dirigés par le Père Douglass de la Mission d'Oxford. Le Père Floor écrivit des "newsletters" dans le journal local, The Catholic Herald of India, afin de donner des nouvelles aux familles.
La journée de travail en France était de neuf heures par jour (départ au travail à 7 heures du matin, travail de 8 heures à 17 heures avec une pause pour le repas de midi), avec un jour de repos dans la semaine (le dimanche pour les Oraons), le plus souvent, mais parfois ce jour n'était pas accordé ou servait à effectuer des corvées dans le camp ou baraquement.
Il n'était pas permis d'entrer dans les cafés français et, pour s'assurer que les travailleurs garderaient des économies pour leur retour au pays et ne dépenseraient pas toute leur solde dans des jeux d'argent ou des dépenses superflues, la somme versée aux "labourers" ne s'élevait qu'à 5 francs (3,2 roupies). Les Indiens recevaient donc de l'argent français pour leurs besoins quotidiens et payer sur place, sous la forme d'une ou plusieurs avances de 5 francs mentionnées dans le règlement de l'ILC.
Les rapports avec les Lorrains furent d'abord froids et distants, en raison de la ségrégation imposée aux "labourers" et du mauvais comportement de troupes coloniales marocaines, qui avaient précédé les Indiens (effectivement, il y eut des soldats et des travailleurs marocains dans la région fin 1917-début 1918); des Marocains qui avaient laissé un souvenir déplaisant dans la région. Mais très vite, selon le Père Floor, la glace fut brisée et les Oraons catholiques eurent de bons contacts avec les Lorrains. Effrayés par la saleté des rues des villages (sans doute en raison des tas de fumier), les Indiens se mirent à les nettoyer et ils utilisèrent les églises locales pour chanter lors de leurs offices. Lorsque les Oraons quittèrent la région, les habitants les invitèrent à boire le thé (The Catholic Herald of India, 5 juin 1918).
On peut voir la tombe du "follower" Markus Karma, de la 57th (Oraon) company, mort le 28 octobre 1917, à la Nécropole de Vitry-le-François (voir plus bas). C'est la seule sépulture, dans notre région, se rapportant à cette compagnie.
D'une façon générale, le travailleur indien ne bénéficiait que d'une pension réduite en cas de blessure ou d'infirmité et, en cas de décès, la famille du "labourer" recevait une indemnité (un mois de salaire plus 300 roupies) versée en une fois et non une pension. Pour "tenir le coup", des compagnies de l'ILC reçurent deux fois par semaine de l'opium mélangé à de la mélasse, ce que réprouvaient grandement les pères jésuites qui luttaient contre ce fléau et l'accoutumance à la drogue liée à cette distribution. Les soins médicaux étaient aussi réduits et il semble bien que les Indiens malades aient été soignés dans les hôpitaux français notamment à Nancy.
On ne trouve pas trace de punition infligée à des travailleurs indiens qui, selon les fautes commises, pouvaient se voir infliger des coups de bâton, des amendes, un confinement au camp, une peine de prison.
En conclusion, il semble que les conditions de travail des "Indian Labourers" en Lorraine, très difficiles, n'ont pas été pires que celles des Indiens servant dans le nord de la France, bien au contraire. Ces derniers se retrouvèrent dans des régions totalement dévastées, logés souvent dans des tentes au milieu des ruines, des tranchées et des cadavres avec une humidité et un froid intenses et exposés aux dangers des combats, lors des offensives allemandes de mars-avril 1918, et des bombardements. De nombreux travailleurs furent tués ou blessés en manipulant les munitions non éclatées qu'ils devaient transporter. Il y eut même une épidémie de béribéri (une maladie liée à la carence de vitamine B1) au sein de la 22nd (Khasi) company à Marcoing, compagnie qui fut rapatriée dès le 1er mars 1918.
De plus, les Indiens envoyés dans le Nord ne virent pratiquement rien de la France et de ses habitants dans ces zones dévastées, sinon des ruines et, parfois, quelques habitants vivant dans des fermes, avec qui ils eurent très peu de contacts (certains Indiens prirent des photos des paysans français moyennant finance...), alors qu'en Lorraine les Indian labourers de la 57th Oraon company purent établir des liens amicaux et utiliser les églises.
Chez les autres Labour Battalions de l'armée anglaise, le travail fut aussi très dur et mené dans les mêmes conditions et avec les mêmes outils que ceux de l'Indian Labour Corps comme le montre ce reportage sur le "Salvage Corps" anglais publié en mai 1918 dans La Guerre Illustrée:
La vie quotidienne des Indian Labourers en Lorraine
Des photos prises par un officier français, le lieutenant de Preissac, près de Gerbéviller en 1917, visiblement durant l'hiver, à l'occasion de la construction d'un aérodrome anglais dont le nom n'est pas précisé (cela peut être Roville-aux-Chênes, Xaffévillers ou même Azelot), montrent aussi que les Indian Labourers étaient logés dans les fermes ou les granges situées près du chantier, avec un confort très rudimentaire, alors qu'à Azelot, ils étaient logés dans des baraquements semi-circulaires nouvellement construits sur le site de l'aérodrome, conformément aux instructions du Major-Général Trenchard.
Les Indiens, transis de froid, mais souriants et avec leurs turbans et des uniformes propres, se trouvent dans la cour d'un bâtiment agricole décrépi. Certains fument tranquillement. Le lieutenant français a pris la pose avec un officier britannique et un officier américain devant le groupe d'Indiens. Cela ressemble à la description de Xaffévillers faite le 23 avril 1918 par Edouard Coeurdevey, qui mentionne que les Indiens côtoyaient Anglais et Américains dans les rues du village.
Les Indiens, transis de froid, mais souriants et avec leurs turbans et des uniformes propres, se trouvent dans la cour d'un bâtiment agricole décrépi. Certains fument tranquillement. Le lieutenant français a pris la pose avec un officier britannique et un officier américain devant le groupe d'Indiens. Cela ressemble à la description de Xaffévillers faite le 23 avril 1918 par Edouard Coeurdevey, qui mentionne que les Indiens côtoyaient Anglais et Américains dans les rues du village.
Photos taken in 1917 at Gerbeviller by Lieutenant de Preissac. We can see the Indian Labourers billeted in a farm or a barn. All of them are smiling and they have clean uniforms. |
Il semble aussi que les Français aient supervisé les travaux car on remarque leur présence sur les chantiers et pas seulement comme "visiteurs". Selon l'accord passé avec les Anglais, les Français ne se contentaient pas de prêter les terrains; ils devaient fournir du matériel et de la nourriture. Sur place, l'avancement des travaux était surveillé par des officiers anglais soit du Royal Flying Corps ou des Royal Engineers, et les équipes de travailleurs étaient dirigées par des "supervisors" (contremaîtres) et des "headmen" et des "mates" (des chefs d'équipe), soit Indiens soit Anglais.
Maurice Baring, qui était officier d'Etat - Major auprès du général Trenchard dans le Royal Flying Corps, a relaté sa visite, avec le général et La Ferrière, un officier français, dans le sud de Nancy les 9 et 10 novembre 1917.
Après avoir visité Ochey et les deux escadrilles de bombardiers, Baring se rendit à Bainville-sur-Madon, "un petit village où vivait Newall. Je fus logé dans le village". Ensuite, le 10 novembre 1917:
"Le jour suivant, nous sommes allés aux escadrilles, à la 55ème escadrille où nous avons déjeuné, au parc d'aviation de Vézelise et ensuite au Quartier Général français où nous vîmes le commandant Picard, et le général eut un entretien avec le général de Castelnau qui commandait le groupe d'armées de l'Est. Il faisait horriblement froid. Quand la discussion à l'Etat-Major fut finie, nous allâmes à Rambervillers, où un aérodrome était en train d'être bâti sur ce qui ressemblait à une lande écossaise désolée, avec l'aide de quelques troupes indiennes. Les crêtes et sillons du terrain étaient si énormes, le sol si marécageux, qu'il ne semblait pas possible, à cette époque, que cette étendue de terre située dans une campagne morne et trempée, pourrait devenir un jour un aérodrome. Néanmoins, cela fut fait".
Il ne reste qu'une poignée de lettres écrites par les travailleurs de l'ILC car le Comité de Censure, malgré l'érudition de ses membres, ne parvenait pas à lire les langues employées pour les écrire et celles qui étaient lues étaient considérées comme n'ayant pas le moindre intérêt.
Même si la paye s'élevait à 20 roupies par mois, les membres de l'Indian Labour Corps ne bénéficiaient pas de grands avantages. Pour notre région, grâce aux remarquables travaux de madame Radhika Singha, la 57th (Oraon) company est l'unité la mieux connue grâce à son recrutement effectué parmi des Oraons (un groupe tribal de l'est de l'Inde, près du Bengale) catholiques, dirigés par un père jésuite belge, Henri Floor, qui était leur "supervisor"; de même la 64th (Bengal) company comprenait un groupe de catholiques dirigés par le Père Douglass de la Mission d'Oxford. Le Père Floor écrivit des "newsletters" dans le journal local, The Catholic Herald of India, afin de donner des nouvelles aux familles.
La journée de travail en France était de neuf heures par jour (départ au travail à 7 heures du matin, travail de 8 heures à 17 heures avec une pause pour le repas de midi), avec un jour de repos dans la semaine (le dimanche pour les Oraons), le plus souvent, mais parfois ce jour n'était pas accordé ou servait à effectuer des corvées dans le camp ou baraquement.
Colonne de travailleurs indiens sur la route d'Azelot le 19 mai 1918. Clichés Auguste Goulden. ECPAD.
A group of Indian labourers on the way to the airfield, May 19, 1918. ECPAD.
A group of Indian labourers on the way to the airfield, May 19, 1918. ECPAD.
Il n'était pas permis d'entrer dans les cafés français et, pour s'assurer que les travailleurs garderaient des économies pour leur retour au pays et ne dépenseraient pas toute leur solde dans des jeux d'argent ou des dépenses superflues, la somme versée aux "labourers" ne s'élevait qu'à 5 francs (3,2 roupies). Les Indiens recevaient donc de l'argent français pour leurs besoins quotidiens et payer sur place, sous la forme d'une ou plusieurs avances de 5 francs mentionnées dans le règlement de l'ILC.
A French banknote issued during WW1: a "blue" 5 francs note. |
Les rapports avec les Lorrains furent d'abord froids et distants, en raison de la ségrégation imposée aux "labourers" et du mauvais comportement de troupes coloniales marocaines, qui avaient précédé les Indiens (effectivement, il y eut des soldats et des travailleurs marocains dans la région fin 1917-début 1918); des Marocains qui avaient laissé un souvenir déplaisant dans la région. Mais très vite, selon le Père Floor, la glace fut brisée et les Oraons catholiques eurent de bons contacts avec les Lorrains. Effrayés par la saleté des rues des villages (sans doute en raison des tas de fumier), les Indiens se mirent à les nettoyer et ils utilisèrent les églises locales pour chanter lors de leurs offices. Lorsque les Oraons quittèrent la région, les habitants les invitèrent à boire le thé (The Catholic Herald of India, 5 juin 1918).
On peut voir la tombe du "follower" Markus Karma, de la 57th (Oraon) company, mort le 28 octobre 1917, à la Nécropole de Vitry-le-François (voir plus bas). C'est la seule sépulture, dans notre région, se rapportant à cette compagnie.
D'une façon générale, le travailleur indien ne bénéficiait que d'une pension réduite en cas de blessure ou d'infirmité et, en cas de décès, la famille du "labourer" recevait une indemnité (un mois de salaire plus 300 roupies) versée en une fois et non une pension. Pour "tenir le coup", des compagnies de l'ILC reçurent deux fois par semaine de l'opium mélangé à de la mélasse, ce que réprouvaient grandement les pères jésuites qui luttaient contre ce fléau et l'accoutumance à la drogue liée à cette distribution. Les soins médicaux étaient aussi réduits et il semble bien que les Indiens malades aient été soignés dans les hôpitaux français notamment à Nancy.
On ne trouve pas trace de punition infligée à des travailleurs indiens qui, selon les fautes commises, pouvaient se voir infliger des coups de bâton, des amendes, un confinement au camp, une peine de prison.
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En conclusion, il semble que les conditions de travail des "Indian Labourers" en Lorraine, très difficiles, n'ont pas été pires que celles des Indiens servant dans le nord de la France, bien au contraire. Ces derniers se retrouvèrent dans des régions totalement dévastées, logés souvent dans des tentes au milieu des ruines, des tranchées et des cadavres avec une humidité et un froid intenses et exposés aux dangers des combats, lors des offensives allemandes de mars-avril 1918, et des bombardements. De nombreux travailleurs furent tués ou blessés en manipulant les munitions non éclatées qu'ils devaient transporter. Il y eut même une épidémie de béribéri (une maladie liée à la carence de vitamine B1) au sein de la 22nd (Khasi) company à Marcoing, compagnie qui fut rapatriée dès le 1er mars 1918.
De plus, les Indiens envoyés dans le Nord ne virent pratiquement rien de la France et de ses habitants dans ces zones dévastées, sinon des ruines et, parfois, quelques habitants vivant dans des fermes, avec qui ils eurent très peu de contacts (certains Indiens prirent des photos des paysans français moyennant finance...), alors qu'en Lorraine les Indian labourers de la 57th Oraon company purent établir des liens amicaux et utiliser les églises.
Chez les autres Labour Battalions de l'armée anglaise, le travail fut aussi très dur et mené dans les mêmes conditions et avec les mêmes outils que ceux de l'Indian Labour Corps comme le montre ce reportage sur le "Salvage Corps" anglais publié en mai 1918 dans La Guerre Illustrée:
Le "Corps Forestier" britannique au travail dans le Nord de la France. La Guerre Illustrée de mai 1918, p. 8-9. On peut comparer les photos avec celles de l'Indian Labour Corps. Les outils et conditions de travail sont similaires mais les Anglais disposent de chevaux et aussi de triqueballes.
The Salvage Corps at work in Northern France. La Guerre Illustrée, May 1918, p. 8-9. We can compare the photos with those of the Indian Labour Corps. The tools and working conditions are similar but the English had horses and carts.
|
On peut remarquer que le gros de l'abattage se faisait aussi à la hache, mais les Anglais disposaient visiblement de chevaux et de triqueballes (un chariot à deux roues pour transporter les grumes).
Summary in English:
Sources des photos et bibliographie:
http://lavigue.blogspot.fr/2015/03/1914-1918-photos-originales-du-front.html
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/autre/civils-creusent-tranchees-sujet_14177_1.htm
L'Illustration, n° 3895 (27 octobre 1917), 3911 (16 février 1918), 3912 (23 février 1918), 3917 (30 mars 1918), 3925 (25 mai 1918), 3928 (15 juin 1918).
Summary in English:
The living and working
conditions in Lorraine
The
Indian labourers wore a British uniform but without any visible badge, and a
turban, and had ankle boots and puttees. According to the photos, they could
wear a thick waistcoat because of the cold. Their officers had a British cap, a
bag and a stick. Indeed, in a company, the 400 labourers were under the command
of a captain or major, about 10 havildars (sergeants), about 20 naiks
(corporals), a supervisor and several mates and headmen. Numerous British
officers and engineers went to Lorraine to see the works in progress because
the new airfields had a major strategic interest and a lot of reports were sent
to London.
The
labourers were billeted in some farms or barns located in the villages close to
the new airfields. Several rows of semicircular Nissen huts were built at Azelot and Gerbéviller to house the workers. The living conditions were rustic but similar to those of
the soldiers (British, French, American ones) living in the same places. The
Indians had a kitchen to cook traditional meals such as chapatis and rice and
the photos and films show that the “chef” built earthen ovens outside the
kitchen. The labourers were well-fed and had a stove and could make fires. Indeed, the weather was cold and misty in Lorraine from October 1917 to May 1918.
The
Indians should cut wood in the forests and carry it to the airfields, dig some drainage trenches or ditches to drain the ground, pick up stones with nets. They had to build hangars and runways too. So the
tools were axes (with grindstones), adzes, pickaxes and shovels. Except for the
building of the road to Saint-Nicolas-de-Port with steamrollers, we can’t see
any truck or horse: all the beams should be carried on the shoulders of the
labourers. But the films shot by the French in 1918 show, in the background, some horses and vehicles in the fields or near the Nissen huts. The Indians had to work 9 hours a day, with a pause at noon and a siesta in
the afternoon, and were paid on average 20 rupees a month.
Thanks to the article written by Mrs. Radhika Singha, the 57th (Oraon) company was thoroughly studied. The supervisor was Father Henri Floor, a Belgian Jesuit, because the labourers were Christians. He described the everyday life of the Oraons in a newspaper, the Catholic Herald of India. First, the inhabitants of Lorraine were suspicious because of the bad behavior of Moroccans who had worked in the same place before the arrival of the Indians. But soon after, the ice was broken and the Oraons began to clean the streets of the village they lived in (in Lorraine, it was traditional to pile up cattle dung in front of the houses to show the wealth of the family: the more the heap was high, the more you were rich… In 1917 and 1944, the American soldiers were horrified too…) and they were allowed to sing in the churches.
Edouard Coeurdevey, a French adjutant, described Xaffévillers in April 1918, with Indians, British officers and Americans walking in the streets. Nevertheless, the cafés were prohibited and the labourers could have an advance on their fees with French banknotes. When the Oraons left Lorraine, the inhabitants drank tea with them.
The records indicate that the Indian labourers worked hard and managed to build the new airfields within the time limit.
Thanks to the article written by Mrs. Radhika Singha, the 57th (Oraon) company was thoroughly studied. The supervisor was Father Henri Floor, a Belgian Jesuit, because the labourers were Christians. He described the everyday life of the Oraons in a newspaper, the Catholic Herald of India. First, the inhabitants of Lorraine were suspicious because of the bad behavior of Moroccans who had worked in the same place before the arrival of the Indians. But soon after, the ice was broken and the Oraons began to clean the streets of the village they lived in (in Lorraine, it was traditional to pile up cattle dung in front of the houses to show the wealth of the family: the more the heap was high, the more you were rich… In 1917 and 1944, the American soldiers were horrified too…) and they were allowed to sing in the churches.
Lorraine and dirtiness... A view of Domjevin with the "usoirs". An "usoir" is an area, located between the road and the front of the farm, which is the property of the owner. It was traditional to pile up cattle dung and to park carts in that area to show how wealthy the owner was... Private collection. |
Edouard Coeurdevey, a French adjutant, described Xaffévillers in April 1918, with Indians, British officers and Americans walking in the streets. Nevertheless, the cafés were prohibited and the labourers could have an advance on their fees with French banknotes. When the Oraons left Lorraine, the inhabitants drank tea with them.
The records indicate that the Indian labourers worked hard and managed to build the new airfields within the time limit.
The
living and working conditions in Lorraine were hard but similar to those of the
soldiers or the other foreign labourers who cut wood or built roads or bridges.
In Northern France, the Indian labourers were billeted in devastated areas and they
rarely saw a French civilian; they had to pick up ammunition and suffered a lot
from cold and various diseases.
Sources des photos et bibliographie:
http://lavigue.blogspot.fr/2015/03/1914-1918-photos-originales-du-front.html
http://pages14-18.mesdiscussions.net/pages1418/forum-pages-histoire/autre/civils-creusent-tranchees-sujet_14177_1.htm
L'Illustration, n° 3895 (27 octobre 1917), 3911 (16 février 1918), 3912 (23 février 1918), 3917 (30 mars 1918), 3925 (25 mai 1918), 3928 (15 juin 1918).
Edouard COEURDEVEY, Carnets de guerre. 1914 - 1918, Plon, collection Terre Humaine, 2008.
Santanu DAS, L'Inde dans la Grande Guerre, Gallimard, 2014.
La Guerre Illustrée, mai 1918. Imprimerie de l'Illustrated London News & Sketch Ltd, Milford Lane, Londres.
René Charles ANDRIEU, Fleur de tranchées... Lettres de guerre 1913-1919, éditions Hugues de Chivré, 2008.
Charles HANIN, Souvenirs d'un officier de zouaves 1915-1918, Bernard Giovanangeli Editeur, 2014.
Radhika SINGHA, International Encyclopedia of the First World War, 1914-1918 Online, article "Labour (India)".
http://encyclopedia.1914-1918-online.net/article/labour_india
Et surtout, toujours de Radhika SINGHA, "The short career of the Indian Labour Corps in France, 1917-1919" in International Labor and working class history, année 2015, volume 87.
Un grand merci au docteur Yves Grosse qui nous a fourni les clichés originaux pris à Azelot et qui sont datés et annotés par Auguste Goulden.
La Guerre Illustrée, mai 1918. Imprimerie de l'Illustrated London News & Sketch Ltd, Milford Lane, Londres.
René Charles ANDRIEU, Fleur de tranchées... Lettres de guerre 1913-1919, éditions Hugues de Chivré, 2008.
Charles HANIN, Souvenirs d'un officier de zouaves 1915-1918, Bernard Giovanangeli Editeur, 2014.
Radhika SINGHA, International Encyclopedia of the First World War, 1914-1918 Online, article "Labour (India)".
http://encyclopedia.1914-1918-online.net/article/labour_india
Et surtout, toujours de Radhika SINGHA, "The short career of the Indian Labour Corps in France, 1917-1919" in International Labor and working class history, année 2015, volume 87.
Un grand merci au docteur Yves Grosse qui nous a fourni les clichés originaux pris à Azelot et qui sont datés et annotés par Auguste Goulden.
Amélie Hornet, Nassima Houssaoui et Camille Launois
English summary: During WWI, France needed workers and India raised thousands of "labourers" who should dig or carry supplies. In the winter of 1917-1918, some units of the Indian Labour Corps went to Lorraine, around the town of Nancy, to build an airfield at Azelot. That airfield should be used by the squadrons of the Royal Flying Corps in the Spring of 1918 (to bomb Germany and to take part in the battle of the salient of Saint-Mihiel). The Indian labourers, from Bengal, Bihar and Santhal, who built the hangars and the landing runways by October 15, 1917 were poorly equipped and suffered a lot from cold and wind. Some of them died of diseases such as bronchitis, pneumonia and influenza. On May 20, 1918 the 104th Squadron could use that airfield. Other units worked in the Vosges mountains (to cut wood) and some photos show their presence in some small French villages and the good relationship between Indians and French. Other airfields were built until August 1918 in the south of Nancy for the new squadrons of the Independent Air Force.
We can notice the presence of 17 companies of the Indian Labour Corps in Lorraine in 1917 - 1918, about 6, 800 men, 76 of whom died and were buried near the villages where they had worked .
We can notice the presence of 17 companies of the Indian Labour Corps in Lorraine in 1917 - 1918, about 6, 800 men, 76 of whom died and were buried near the villages where they had worked .
C - Les tombes indiennes à Nancy et dans les environs
Les différents types de stèles
Les différents types de stèles
Les tombes indiennes sont réparties dans trois cimetières: celui du Sud à Nancy, celui d'Azelot et celui de Jarville-la-Malgrange. Les tombes sont regroupées dans un "carré militaire", soit avec d'autres tombes françaises (cas de Jarville, avec en plus une tombe anglaise), soit seulement "entre Indiens" (cas des deux autres cimetières) dans un petit secteur qui leur a été attribué. La tombe est isolée le plus souvent ou bien il y a un regroupement de deux tombes (à Jarville et à Azelot).
Le cimetière du Sud à Nancy Nancy Southern Cemetery |
Cimetière de Jarville-la-Malgrange Cemetery of Jarville-la-Malgrange |
La stèle est rectangulaire avec un sommet légèrement arrondi. Il y a quatre types principaux de stèle:
- La stèle attribuée à un soldat hindouiste. Elle comprend une inscription en sanskrit invoquant "Om", la puissance créatrice, puis le matricule, la fonction au sein de l'armée (pour Nancy en 14-18, c'est "labourer" soit "travailleur"), le numéro de la compagnie (le mot "company" étant abrégé en "coy.") de l'Indian Labour Corps avec l'état indien d'où est originaire le mort, la date de la mort. Ainsi, au cimetière du Sud, on peut lire :
932 Labourer
BHIMA
54th (Santhal)
Indian Labour Coy.
20th February 1918
Headstone of labourer Bhima (a Hindu) |
- la stèle attribuée à un soldat indien musulman, avec deux versions. Elle comprend un des noms d'Allah ("Celui qui pardonne tout") placé en haut, et une invocation tirée du Coran en lettres arabes placée en bas, puis les mêmes éléments d'identification que précédemment, au centre. Ainsi, on peut voir plus bas la stèle de:
611 Labourer
TARIKULLA
64th (Bengal)
Indian Labour Coy.
31st December 1917
Headstone of labourer Tarikulla (Tarik Ulla), a Muslim. |
Sur une d'entre elles, il y a en haut de la stèle l'emblème de l'Indian Labour Corps (qui était d'ailleurs celui du Labour Corps en général, sans autre marque particulière): une couronne de feuilles de chêne avec à l'arrière un fusil, une pelle et une pioche entrecroisés, le tout surmonté par la couronne britannique. En dessous, il y a une devise en latin inscrite dans un rouleau: "Labor omnia vincit" soit "le travail vainc tout". Sous cet emblème, on retrouve les mêmes éléments que ceux décrits plus haut:
561 Labourer
JAHIUDDIN
64th (Bengal)
Indian Labour Coy.
13th January 1918
Headstone of labourer Jahiuddin, a Muslim, with the regimental badge. |
- La stèle attribuée à un soldat non identifié. Elle comporte l'inscription "An unknown Indian soldier of the Great War" soit "un soldat inconnu indien de la Grande Guerre".
Headstone of an unknown Indian soldier of the Great War |
Les tombes sont basiques, avec peu de décoration, sauf à Jarville où elles ont une vasque centrale pour les fleurs. Un petit rebord en ciment délimite un espace rectangulaire rempli de petits cailloux. Sur ce rebord en ciment il y a marqué "concession à perpétuité".
On peut aussi noter que les "Indian Labourers" de la Grande Guerre furent rejoints en 1939-1945 par d'autres Indiens, cette fois des soldats, morts principalement durant l'été et l'automne 1944, et qui furent enterrés au côté de leurs prédécesseurs au cimetière du Sud (en plus d'une tombe isolée à Champenoux). Ces soldats indiens, au nombre de 6 (plus un autre à Champenoux), étaient des prisonniers de guerre qui se trouvaient dans le Stalag 194 près de Nancy.
La tombe du caporal Bhiraj Ram mort le 30 août 1944 Grave of lance naik Bhiraj Ram who died on August 30, 1944 |
Stèle d'un soldat indien inconnu mort le 4 juin 1943. Nancy, Cimetière du Sud. La liste du carré indien mentionne l'inhumation d'un nommé Razzag Abdul le 7 juin 1943. Headstone of an unknown sepoy who died on June 4, 1943. The registration of the CWGC does not mention it. Nancy Southern Cemetery. An old list kept in the local archives mentions the name of Razzag Abdul buried on June 7, 1943 in that place. |
Amer Cakor (Seconde 03)
Les inscriptions des stèles
Emma JOFFRES (P ST2S 1)
Les inscriptions des stèles
Il faut aussi s'intéresser aux inscriptions des stèles, écrites soit en sanskrit soit en arabe. Sir Tony McClenaghan, de l'Indian Military Historical Society, nous a donné de précieuses informations que nous complétons ici.
Les stèles attribuées aux soldats hindouistes, morts durant la Grande Guerre, comportent une courte inscription en sanskrit (à lire de gauche à droite), transcription d'un mantra védique qui est aussi une prière ancestrale. Ce mantra est récité, selon un usage général, afin de détacher l'âme du corps et de saluer l'Infini, dans le but de purifier l'esprit et de s'éloigner du monde matériel :
"Om bhagwatey namaha"
"Je m'incline devant l'Univers"
Si l'on veut préciser cette traduction assez générale, on doit ajouter que: "Om" est l'énergie suprême; "bhagwatey" est le principe divin créateur, immuable et éternel; "namaha" signifie "je remercie et reconnais la présence dans ma vie". Donc une traduction plus longue serait:
" Je remercie et reconnais comme guides les forces divines / cosmiques de l'Univers".
Ce mantra est inscrit de façon abrégée sur la stèle. La formule complète est :
Vaasudevaya est un des noms du dieu Krishna (fils de Vaasudeva).
Selon les règles de l'hindouisme, le corps du mort aurait dû être brûlé rituellement et réduit en cendres, le nom du défunt étant commémoré dans un mémorial; mais la crémation était alors interdite en France et il était d'ailleurs difficile de procéder à des exhumations puis à des crémations. Il fut alors convenu que les Indiens décédés seraient inhumés selon la loi française, avec une stèle particulière. D'ailleurs, dès la fin de 1914, l'inhumation avait été acceptée comme un "mal nécessaire", un pis-aller acceptable, faute de pouvoir procéder à une crémation ou de plonger le corps dans la mer ou dans une rivière, par les officiers hindouistes et les brahmanes de l'armée indienne qui servaient à Boulogne-sur-Mer, et qui se retrouvaient avec de nombreux cadavres ramenés des tranchées.
Il peut y avoir aussi des inscriptions écrites dans d'autres langues indiennes sur les stèles de soldats morts lors de la Seconde Guerre Mondiale.
"Om namo bhagwatey Vaasudevaya"
"Je remercie et je me prosterne devant Krishna maître de l'Univers présent dans toute chose"
Vaasudevaya est un des noms du dieu Krishna (fils de Vaasudeva).
Selon les règles de l'hindouisme, le corps du mort aurait dû être brûlé rituellement et réduit en cendres, le nom du défunt étant commémoré dans un mémorial; mais la crémation était alors interdite en France et il était d'ailleurs difficile de procéder à des exhumations puis à des crémations. Il fut alors convenu que les Indiens décédés seraient inhumés selon la loi française, avec une stèle particulière. D'ailleurs, dès la fin de 1914, l'inhumation avait été acceptée comme un "mal nécessaire", un pis-aller acceptable, faute de pouvoir procéder à une crémation ou de plonger le corps dans la mer ou dans une rivière, par les officiers hindouistes et les brahmanes de l'armée indienne qui servaient à Boulogne-sur-Mer, et qui se retrouvaient avec de nombreux cadavres ramenés des tranchées.
Il peut y avoir aussi des inscriptions écrites dans d'autres langues indiennes sur les stèles de soldats morts lors de la Seconde Guerre Mondiale.
Pradnya Phadtare, assistante d'anglais
Pour les soldats indiens musulmans, il y a deux inscriptions en arabe (avec une lecture de droite à gauche) sur la stèle. Au sommet, on trouve un des noms d'Allah:
"Hu al Ghafour"
"Le Pardonneur" / "Celui qui pardonne tout"
La seconde ligne, en bas, est une citation du Saint Coran (Sourate 2, Verset 156):
"Inna lil'lahe wo inna elaehe rajaoun"
"Nous appartenons à Allah et c'est vers Lui que nous retournerons"
Nassima Houssaoui
- Au cours des recherches, nous avons découvert l'existence d'un nouveau type de stèle dans la nécropole nationale de Vitry-le-François, dans la Marne: celle attribuée à Markus Karma, "follower" de la 57th Company (Oraon), mort le 28 octobre 1917. Un "follower" est un non-combattant suivant une unité de l'armée indienne afin d'y servir comme cuisinier, balayeur, ou porteur d'eau. Cette stèle, similaire à celle d'un soldat anglais, comprend l'emblème de l'Indian Labour Corps, et l'identification du défunt:
1420 FOLLOWER
MARKUS KARMA
57th (Oraon) Indian Labour Coy.
28th October 1917
La croix latine indique que cet Indien était chrétien, ce qui explique l'absence d'inscription en sanskrit ou en arabe. La 57th (Oraon) company était en effet composée d'Oraons catholiques dirigés par le père jésuite belge Henri Floor. Markus Karma est le seul Indien enterré à Vitry-le-François, avec six soldats britanniques.
Emma JOFFRES (P ST2S 1)
English summary: we can find 14 graves of Indian labourers of WWI in Nancy and in the vicinity of our town, scattered between 3 cemeteries (Nancy Southern Cemetery, Jarville-la-Malgrange, Azelot), sometimes with the graves of French soldiers.
The slabs or headstones were engraved according to the religion (Hindu, Muslim or Christian) of the dead, with a sentence written in Hindi or with Arabic letters, the number and the rank, the name and unit, and the date of death, a cross for follower Markus Karma. On one of the headstones, we can see the "regimental badge" of the Indian Labour Corps. Two labourers were not identified but it seems they could be labourers Nikku and Fagu Sarren. We can notice that we can find, in Nancy Southern Cemetery and at Champenoux, the graves of 7 Indian soldiers who died during WWII in 1943 and 1944. Those 7 soldiers were some prisoners-of-war from Stalag 194, located near Nancy.
D - La liste des 14 "travailleurs" indiens de 1914- 1918 enterrés à Nancy, Jarville-la-Malgrange et Azelot.
"Labourers" indiens morts en Meurthe-et Moselle [14-18]
Indian labourers who died in Meurthe-et-Moselle [14-18]
Dans le
cimetière d'Azelot, nous pouvons trouver 4 tombes de soldats :
In the cemetery of Azelot, we can find 4 graves :
-BHIMA
PAHARIA, mort le 06/05/1918, 361 Labourer- Indian Labour Corps
died on the 05/06/1918
-JADU HEMBRON, mort le 31/03/1918, 760 Labourer- Indian Labour Corps
died on the
03/31/1918
-JUMMI,
mort le 28/04/1918, 645 Labourer- Indian Labour Corps
died on the 04/28/1918
-SIBU HEMBRON, mort le 21/02/1918, 1486 Labourer- Indian
Labour Corps
died on the 02/21/1918
died on the 02/21/1918
Dans le
cimetière de Jarville, nous pouvons trouver 3 tombes de soldats :
In the cemetery of Jarville, we can find 3 graves :
-BUDHU
KACHUWA, mort le 03/05/1918, 1542 Labourer- 58th (Oraon) Indian Labour Coy.
died on the 05/03/1918
-FAGJU KISKU, mort le 07/04/18, 1424 Labourer- 31st (Bihar) Indian
Labour Coy.
died on the 04/07/1918
died on the 04/07/1918
-KARU
TUDU, mort le 25/03/1918, 922 Labourer- 31st (Bihar) Indian Labour Coy.
Dans le
cimetière du Sud de Nancy, nous pouvons trouver 7 tombes de soldats de la Grande Guerre (avec 6 autres datant de la Seconde Guerre Mondiale):
In the cemetery of Nancy (Southern Cemetery), we can
find 7 graves of Indian labourers (with 6 other ones of soldiers of WW2) :
-BHIMA, mort le 20/02/1918, 932
Labourer- 54 th (Santhal) Indian Labour Coy.
(unknown first name) died on the 02/20/1918.
(unknown first name) died on the 02/20/1918.
-CHIRAGH
ALI, mort le 28/10/1917, 355 Labourer- 64th (Bengal) Indian Labour Coy.
died on the 10/28/1917
died on the 10/28/1917
- 2
soldats inconnus, pourtant le registre des morts de la Commonwealth War Graves Commission les considère comme identifiés sous les noms de NIKKU (de la 72nd labour coy.; mort le 24 janvier 1918) et FAGU SARREN (31st Bihar labour coy.) qui mourut entre le 4 août 1914 et le 31 août 1921 !
Grâce au travail de la CWGC (Novembre 2019), nous savons désormais que les deux Indiens sont anonymes; aucun document ne permettant de les identifier comme les "labourers" Nikku et Fagu Sarren.
Grâce au travail de la CWGC (Novembre 2019), nous savons désormais que les deux Indiens sont anonymes; aucun document ne permettant de les identifier comme les "labourers" Nikku et Fagu Sarren.
Pourtant, une liste d'époque conservée au cimetière indique bien ces deux noms : Nikku fut enterré le 26 janvier 1918, Fagu le 21 mars 1918...
2 unknown soldiers, but the registration indicates two
names, labourers Nikku, 72nd Labour coy., who died on January 24, 1918 and Fagu Sarren, 31st Bihar Labour coy.; who died between August 4, 1914 and August 31, 1921 !
Thanks to the CWGC, we know (November 2019) that the two Indians could not be identified as Nikku and Fagu Sarren because there is no evidence, so they are "unknown"...
Thanks to the CWGC, we know (November 2019) that the two Indians could not be identified as Nikku and Fagu Sarren because there is no evidence, so they are "unknown"...
-JAHIUDDIN mort le 13/01/1918, 561 Labourer- 64th (Bengal) Indian Labour Coy.
(unknown first name), died on the 01/13/1918
(unknown first name), died on the 01/13/1918
-KALAMIR mort le 09/11/1917, 416 Labourer, 64th (Bengal) Indian Labour Coy.
(unknown
first name), died on the 11/09/1917.
-TARIKULLA
(Tarik Ulla sur le registre du Commonwealth), mort le 31/12/1917, 611 Labourer- 64th (Bengal) Indian Labour Coy.
(Tarik Ulla on the registration) died on the 12/31/1917
Les soldats désormais mentionnés comme "inconnus" ont été barrés sur la liste dressée par les Anglais, mais pas sur le registre imprimé ! Leurs noms , au départ, étaient Nikku et Fagu Sarren, noms rayés puis remplacés par "inconnu". Comme nous l'avons mentionné plus haut, une recherche de la CWGC (novembre 2019) a montré que les deux Indiens n'avaient pas pu finalement être identifiés et donc ils demeurent anonymes contrairement à ce qui était porté sur le registre. Néanmoins, la liste du cimetière du Sud, publiée plus haut, montre bien les inhumations de deux Indiens nommés Nikku et Fagu ...
On peut aussi noter des erreurs dans les noms sur le registre: Hembron est noté Hembrom, Fagju est inscrit Faghu, Chiragh Ali est retranscrit Chirach Ali etc.
On peut aussi noter des erreurs dans les noms sur le registre: Hembron est noté Hembrom, Fagju est inscrit Faghu, Chiragh Ali est retranscrit Chirach Ali etc.
The two names have been crossed out in the English register, but
their names were Nikku and Fagu Sarren, replaced by "unknown". We can notice some mistakes in the spelling of the names: Hembron is written Hembrom, Fagju is written Faghu, Chiragh Ali is written Chirach Ali etc.
On peut remarquer que 8 travailleurs sur les 12 identifiés ont leur numéro de compagnie gravé sur la stèle tandis que les 4 enterrés à Azelot n'ont comme identification d'unité que "Indian Labour Corps". Ces 8 travailleurs étaient originaires de l'est de l'Inde (Bengale et Bihar) alors que les combattants étaient surtout recrutés parmi les ethnies guerrières du nord de ce pays comme le mentionnent les historiens indiens. La plupart des décès ont eu lieu au printemps 1918.
Sur les 12 "labourers" identifiés, on compte 4 Musulmans (Chiragh Ali, Kalamir, Tarikulla, Jahiuddin) et 8 Hindouistes. Les registres de la Commonwealth War Graves Commission montrent que la liste des morts a été difficile à établir avec beaucoup de ratures et de rectificatifs des noms. Pour la retranscription, nous avons repris les noms inscrits sur les stèles en les comparant avec ceux portés sur les registres qui montrent aussi que les stèles étaient calibrées selon la religion du défunt.
English summary: 8 labourers out of the 12 identified ones have the number of their units engraved on the slabs. Most of them came from Eastern India (above all Bengal and Bihar), contrary to the sepoys who were raised in Northern India. Most of the labourers died in the Winter of 1917-1918 and in the Spring of 1918. 4 labourers were Muslims, 8 were Hindus (we don't know, of course, the religion of the two unknown soldiers). We can notice in reading the archives of the Commonwealth War Graves Commission that the lists of the dead were often crossed out, with many mistakes in the spelling of the names.
Nous avons écrit à un historien indien, Sir Rana Chhina, afin d'éclaircir plusieurs points:
- Qui étaient les deux inconnus du Cimetière du Sud? Où sont Nikku et Fagu Sarren ? Pourquoi le registre n'a t-il pas été changé ?
Cette question a été étudiée par les historiens anglais qui pensaient d'abord qu'il s'agissait d'une erreur; les deux travailleurs étant bien identifiés sur le registre de la CWGC. Mais une recherche approfondie, menée en novembre 2019 par cette dernière auprès des autorités militaires indiennes, montre que les deux corps ne pouvaient être clairement identifiés et donc les deux Indiens restent anonymes.
- Pourquoi certains Indiens n'ont-ils qu'un nom ou prénom?
Il est courant d'avoir sur les registres et sur les tombes un simple nom ("single name") pour le travailleur ou un surnom comme "Kallu", le "noiraud", qui ne correspond pas au véritable nom de famille du travailleur.
Mathilda Kohler et Coline Zahm
SOURCES:
Registres et listes de la Commonwealth War Graves Commission pour les lieux cités (http://www.cwgc.org/).
Troisième partie: le souvenir de la présence des Indiens en France.
A- Le départ de l'Indian Labour Corps.
D'autres tombes sont situées dans les Vosges (cimetières de Charmes-Essegney, Martigny-les-Bains, Mandres-sur-Vair, Rambervillers) et dans la Marne (Nécropole Nationale de Vitry-le-François), où reposent 62 autres Indians labourers. La liste complète se trouve en fin de cette étude. Les membres de l'Indian Labour Corps venaient principalement de l'Est de l'Inde (Bengale, Bihar, Santal) et les registres de la CWGC indiquent un recrutement quasi clanique ou familial, plusieurs labourers étant originaires du même district voire de la même ville. Reprenons les informations concernant les 76 travailleurs indiens reposant dans le Grand Est afin de voir les faits marquants.
- Les dates de mort sont indiquées pour 75 Indiens sur 76. Nous laisserons de côté, tant que l'affaire n'est pas résolue, les cas des labourers Nikku et Fagu Sarren, en prenant les informations des registres.
Les décès se sont déroulés sur une période allant du 28 octobre 1917 (avec les décès du labourer Chiragh Ali et du follower Markus Karma), donc peu de temps après l'arrivée des premières compagnies de l'ILC en Lorraine, au 13 février 1919 (Maisa Paharia, de la 54th (Santhal) coy.). Mais il y eut de fortes variations dans le nombre des décès, avec un premier pic de mortalité en décembre 1917 (10 décès) puis un second en mai 1918 avec 17 décès. La période la plus meurtrière se situe entre février et mai 1918. Selon les registres de la CWGC, ce sont les maladies (sickness) qui furent la cause des décès et principalement la pneumonie. La baisse voire l'absence de décès à partir de l'été 1918 s'expliquent aussi par le départ des compagnies et pas seulement par le retour du beau temps.
Maria Camara et Jérôme Janczukiewicz
- Les dates de mort sont indiquées pour 75 Indiens sur 76. Nous laisserons de côté, tant que l'affaire n'est pas résolue, les cas des labourers Nikku et Fagu Sarren, en prenant les informations des registres.
Les décès se sont déroulés sur une période allant du 28 octobre 1917 (avec les décès du labourer Chiragh Ali et du follower Markus Karma), donc peu de temps après l'arrivée des premières compagnies de l'ILC en Lorraine, au 13 février 1919 (Maisa Paharia, de la 54th (Santhal) coy.). Mais il y eut de fortes variations dans le nombre des décès, avec un premier pic de mortalité en décembre 1917 (10 décès) puis un second en mai 1918 avec 17 décès. La période la plus meurtrière se situe entre février et mai 1918. Selon les registres de la CWGC, ce sont les maladies (sickness) qui furent la cause des décès et principalement la pneumonie. La baisse voire l'absence de décès à partir de l'été 1918 s'expliquent aussi par le départ des compagnies et pas seulement par le retour du beau temps.
Graphique portant sur les décès des Indiens de l'ILC 1917-1919
The number of deceased Indian labourers in Lorraine per month from October 1917 to February 1919
Certaines compagnies ont été beaucoup plus éprouvées que d'autres (mais 9 Indiens n'ont pas leur numéro de compagnie indiqué sur le registre, avec une simple mention Indian Labour Corps).
La 54th (Santhal) company perdit 14 travailleurs; la 72nd (United Provinces) company eut 9 décès, la 52nd (Santhal) company 8, les 75th (United Provinces) et 64th (Bengal) companies 6 chacune, les 31st (Bihar) et 58th (Oraon) companies 5 chacune, la 30th company 4. Les autres compagnies (32nd (Bihar), 34th (Khasi), 53rd (Santhal), 57th (Oraon), 76th (Kumaon), 81st (Santhal) companies) ne perdirent qu'entre 1 à 3 membres chacune. Aucune perte n'est enregistrée pour les 29th (on a vu plus haut le cas de Meta Khan) et 63rd compagnies mais 9 Indiens n'ont pas de numéro de compagnie porté sur les registres.
- On ne compte que 3 gradés parmi les morts: un lieutenant (jemadar), Mehta Khan, issu du 43rd Erinpura regiment et attaché à l'ILC; un sergent (havildar), Sagram, de la 30th company, et un chef d'équipe (mate), Gote Lakra de la 58th (Oraon) company. Les autres sont des travailleurs (labourers) sauf deux qui étaient followers. Un fait notable est le détachement dans l'ILC de deux soldats de l'armée indienne (sans doute devenus inaptes au service armé), le jemadar Mehta Khan et le sowar (cavalier) Gopal Singh venu du 9th Hodson's Horse.
- Quant aux origines des Indiens, les registres nous donnent des informations partielles. Plusieurs Indiens n'ont qu'un simple nom (single name), comme Bhima, Kalamir, Bori, Debi, Hanu etc, sans nom de famille, ce qui est assez courant selon monsieur Tony McClenaghan, les Anglais ne prenant pas le soin de tout noter sur leurs listes ou notant un nom selon ce qu'ils entendaient.
Certains noms sont en fait des surnoms, tradition indienne encore vivace aujourd'hui selon mademoiselle Pradnya Phadtare: Kallu veut dire "à la peau sombre" (ou "noiraud"), Kachuwa signifie "tortue", non pas forcément parce que cet Indien était lent mais parce qu'il était prudent... De même, monsieur Rana Chhina a indiqué que "Paharia" signifiait "celui venu des collines", nom que l'on retrouve chez plusieurs "labourers".
Certains noms sont en fait des surnoms, tradition indienne encore vivace aujourd'hui selon mademoiselle Pradnya Phadtare: Kallu veut dire "à la peau sombre" (ou "noiraud"), Kachuwa signifie "tortue", non pas forcément parce que cet Indien était lent mais parce qu'il était prudent... De même, monsieur Rana Chhina a indiqué que "Paharia" signifiait "celui venu des collines", nom que l'on retrouve chez plusieurs "labourers".
Néanmoins, l'identification de certains Indiens est précisée avec la mention de liens de parenté comme fils de untel, père de untel, frère de untel, mari de etc avec le nom du parent, plus l'indication de la ville d'origine avec l'Etat et le district (30 cas sur 76). Si on reprend ces informations, plus la mention de l'ethnie de la compagnie, on peut dresser une carte.
Origines des Indiens morts en Lorraine (aires de recrutement et villes d'origine)
The origins of the labourers who died in Lorraine (recruitment areas and cities)
Les aires de recrutement sont indiquées par un ovale rouge; les villes d'origine par un triangle vert. Carte issue de Wikipedia, article "British Raj". The red ovals indicate the recruitment areas; the green triangles the cities where the deceased labourers lived in. Map from Wikipedia, article "British Raj". |
Les aires de recrutement concernaient le nord-est et l'est de l'Inde (Bengale surtout) et sont marquées par le caractère ethnique déjà vu plus plus haut avec des compagnies recrutées chez les Kumaonis, Khasi, Oraons, Bengalais, Bihari et les tribus du Santhal et de l'Uttar Pradesh.
La carte souligne plusieurs zones très ciblées quant aux villes d'origine des travailleurs: les United Provinces (aujourd'hui Uttar Pradesh), le Bihar, avec le district de Santhal Parganas (aujourd'hui le Jharkhand), le Bengale, et la région de Chittagong et de Noakhali (aujourd'hui au Bangladesh). Un Indien, Guia Paharia, de la 32nd (Bihar) coy. était originaire de Malaisie.
La carte souligne plusieurs zones très ciblées quant aux villes d'origine des travailleurs: les United Provinces (aujourd'hui Uttar Pradesh), le Bihar, avec le district de Santhal Parganas (aujourd'hui le Jharkhand), le Bengale, et la région de Chittagong et de Noakhali (aujourd'hui au Bangladesh). Un Indien, Guia Paharia, de la 32nd (Bihar) coy. était originaire de Malaisie.
Beaucoup d'Indiens venaient de villes proches et certains semblent appartenir à la même famille mais comme le remarque madame Radhika Singha, la composition ethnique des compagnies n'était pas forcément homogène et le terme "Bengale" par exemple regroupait diverses ethnies de l'Est de l'Inde.
Maria Camara et Jérôme Janczukiewicz
Summary in English:
76
Indian labourers died in Lorraine between October 28, 1917 and February 13,
1919. According to the registration of the CWGC, they died of “disease” or “pneumonia”
because of the cold or maybe the flu. The mortality rate was high in December
1917 and May 1918.
The casualties were various: the 54th (Santhal) company lost 14 men for example; the companies from Bengal and the United Provinces each lost between 5 and 9 men but the losses were sometimes light: the 76th (Kumaon) company lost one man only.
The Indian labourers came from Eastern India: the United Provinces (Uttar Pradesh), Bihar and Santhal Parganas (nowadays Jharkhand), Bengal. Two of the dead Indians were previously soldiers (sepoys) probably unfit for military service: Jemadar Mehta Khan and Sowar Gopal Singh.
About 1,500 Indian labourers died in France between 1917 and 1919.
The casualties were various: the 54th (Santhal) company lost 14 men for example; the companies from Bengal and the United Provinces each lost between 5 and 9 men but the losses were sometimes light: the 76th (Kumaon) company lost one man only.
The Indian labourers came from Eastern India: the United Provinces (Uttar Pradesh), Bihar and Santhal Parganas (nowadays Jharkhand), Bengal. Two of the dead Indians were previously soldiers (sepoys) probably unfit for military service: Jemadar Mehta Khan and Sowar Gopal Singh.
About 1,500 Indian labourers died in France between 1917 and 1919.
SOURCES:
Registres et listes de la Commonwealth War Graves Commission pour les lieux cités (http://www.cwgc.org/).
Troisième partie: le souvenir de la présence des Indiens en France.
A- Le départ de l'Indian Labour Corps.
A partir de février 1918, alors que les travaux battaient leur plein, un problème épineux survint: le contrat des Indian Labourers allait expirer ! Certains d'entre eux avaient été engagés cinq mois avant leur arrivée en France... La durée fixée, un an, démarrait - elle à la date de la signature du contrat ou de l'arrivée en France ? Une agitation, avec arrêt du travail, gagna alors les unités de l'ILC dont les hommes voulaient repartir en Inde et un officier anglais, le lieutenant - général Cox, fit une tournée à partir de mars 1918 pour expliquer et fixer les termes du maintien des unités en France jusqu'au 31 octobre 1918. Il affirma que le rapatriement immédiat en Inde n'était pas possible en raison du manque de navires (ce qui était vrai) et que les "labourers" bénéficieraient d'un bonus de 25 roupies plus un autre de 10 roupies pour chacun des trois mois qui suivraient la date d'expiration du contrat, et 15 roupies pour chaque mois au-delà de ces trois mois, plus une possibilité de visiter Paris ou Londres.
Finalement, malgré toutes ces propositions alléchantes, les Indiens n'acceptèrent pas leur maintien supplémentaire, sur le long terme, et partirent progressivement de France au cours de l'année 1918, à partir de mai, le rapatriement s'achevant à la fin de 1918. Ainsi, le Naga Labour Corps rejoignit Marseille en avril 1918 et embarqua pour l'Inde fin mai 1918 tout comme le Lushai Labour Corps dont une compagnie, la 29th, avait travaillé en Lorraine, et qui quitta aussi la France en mai après avoir décliné l'offre du Révérend Jones qui avait proposé une visite du Pays de Galles; les Garos de la 69th Company se retrouvèrent à Marseille dès le 25 mai 1918 et revirent l'Inde le 16 juillet 1918.
Quant au 22nd Manipur Labour Corps, dont faisait partie la 64th company qui avait travaillé en Lorraine, il commença son retour pour l'Inde le 5 mai 1918 et rejoignit Marseille le 7 mai 1918 pour embarquer. Il atteignit Karachi puis les hommes furent transportés jusqu'à Imphal où ils furent félicités par le raja. Tous les hommes reçurent la "war medal".
En Lorraine, il semble bien que plusieurs des compagnies de l'ILC quittèrent le sud de Nancy à partir de mai 1918 mais la liste des décès indique aussi le maintien de certaines compagnies (la 72nd des Provinces Unies, la 58th Oraon, la 81st du Santhal notamment) durant l'été 1918, sans doute pour achever les travaux sur les nouveaux aérodromes.
En octobre 1918, selon les historiens anglais John Starling et Ivor Lee, il ne restait plus que trois compagnies de l'ILC (la 78th Burma, la 33rd Bihar, la 85th Kumaon) qui avaient un contrat valable pour la durée de la guerre. Pourtant il y a au cimetière de Charmes - Essegney la tombe du labourer Maisa Paharia, 54th Santhal Company, mort de maladie le 13 février 1919. S'agit-il d'un malade laissé en France ? Selon les chiffres donnés par madame Radhika Singha, en août 1919, il restait en France 680 "Indian Labourers" ainsi que 14 441 Indiens servant comme conducteurs d'artillerie, pour la remonte des chevaux et comme employés de la comptabilité ou de la poste.
Quant au 22nd Manipur Labour Corps, dont faisait partie la 64th company qui avait travaillé en Lorraine, il commença son retour pour l'Inde le 5 mai 1918 et rejoignit Marseille le 7 mai 1918 pour embarquer. Il atteignit Karachi puis les hommes furent transportés jusqu'à Imphal où ils furent félicités par le raja. Tous les hommes reçurent la "war medal".
En Lorraine, il semble bien que plusieurs des compagnies de l'ILC quittèrent le sud de Nancy à partir de mai 1918 mais la liste des décès indique aussi le maintien de certaines compagnies (la 72nd des Provinces Unies, la 58th Oraon, la 81st du Santhal notamment) durant l'été 1918, sans doute pour achever les travaux sur les nouveaux aérodromes.
En octobre 1918, selon les historiens anglais John Starling et Ivor Lee, il ne restait plus que trois compagnies de l'ILC (la 78th Burma, la 33rd Bihar, la 85th Kumaon) qui avaient un contrat valable pour la durée de la guerre. Pourtant il y a au cimetière de Charmes - Essegney la tombe du labourer Maisa Paharia, 54th Santhal Company, mort de maladie le 13 février 1919. S'agit-il d'un malade laissé en France ? Selon les chiffres donnés par madame Radhika Singha, en août 1919, il restait en France 680 "Indian Labourers" ainsi que 14 441 Indiens servant comme conducteurs d'artillerie, pour la remonte des chevaux et comme employés de la comptabilité ou de la poste.
En tout, environ 1500 Indian Labourers laissèrent leur vie en France (pour être précis, on compte 1494 tombes de travailleurs indiens sur le sol français).
Summary in English:
The Center for hidden histories, North East India and the First World War.
http://hiddenhistorieswwi.ac.uk/uncategorized/2016/02/north-east-india-and-the-first-world-war/
The Economic Times, "Garo soldiers of World War I remembered", July 16, 2015.
http://economictimes.indiatimes.com/news/defence/garo-soldiers-of-world-war-i-remembered/articleshow/48099657.cms
The Times of India, "Memorial in honour of Naga Labour Corps unveiled", April 22, 1917.
http://timesofindia.indiatimes.com/city/kohima/memorial-in-honour-of-naga-labour-corps-unveiled/articleshow/58309766.cms
Summary in English:
In
February 1918, some companies of the ILC began to think of their return to
India: they had enlisted for one year and the contact would expire! The British
tried to convince the labourers to stay in France by offering a bonus and a
visit of Paris or London, in vain. By May 1918, most of the companies went back
to Marseilles and set sail for India. Some units were still present in France
in October 1918 and in the spring of 1919 to clear the battlefields.
In Lorraine, several companies left the area in May 1918, but some companies (72nd, 58th, 81st coy.) were still present between June and September 1918. The last death of an Indian labourer in Lorraine occurred on February 13, 1919 (with Maisa Paharia, 54th coy.).
In Lorraine, several companies left the area in May 1918, but some companies (72nd, 58th, 81st coy.) were still present between June and September 1918. The last death of an Indian labourer in Lorraine occurred on February 13, 1919 (with Maisa Paharia, 54th coy.).
In
India, the labourers were warmly welcomed but soon disappointed: the British
had imposed a crackdown on the nationalist movement and the independence of
India was a new concern. The Indians were changed by their trip: they were more
united, they organized clubs and societies to discuss independence and they had
seen the importance of schooling and education for their children.
The Center for hidden histories, North East India and the First World War.
http://hiddenhistorieswwi.ac.uk/uncategorized/2016/02/north-east-india-and-the-first-world-war/
The Economic Times, "Garo soldiers of World War I remembered", July 16, 2015.
http://economictimes.indiatimes.com/news/defence/garo-soldiers-of-world-war-i-remembered/articleshow/48099657.cms
The Times of India, "Memorial in honour of Naga Labour Corps unveiled", April 22, 1917.
http://timesofindia.indiatimes.com/city/kohima/memorial-in-honour-of-naga-labour-corps-unveiled/articleshow/58309766.cms
B - La plaque commémorative de la cathédrale de Nancy
The memorial tablet in the cathedral of Nancy
Sources:
- Photographies prises dans la cathédrale de Nancy (mars 2017).
- "Memorial tablets to the British Empire dead of the First World War", Wikipedia.
C - Le Mémorial Indien de Neuve - Chapelle.
The memorial tablet in the cathedral of Nancy
Après la fin de la Grande Guerre, le roi d'Angleterre George V fit apposer par l'Imperial War Graves Commission une plaque commémorative, dans certaines cathédrales françaises et belges (là où étaient stationnées des troupes de l'Empire Britannique), en l'honneur des soldats du Royaume-Uni et de l'Empire morts durant le conflit. Il y en a 23 en France et 5 en Belgique. On peut voir celle de Nancy en entrant dans la cathédrale, sur le pilier gauche de la nef. Elle fut dévoilée le 4 septembre 1925 par le colonel australien Thomas Dodds.
Au sommet, il y a les armoiries du Royaume-Uni et celles des principaux dominions (Australie, Canada, Terre - Neuve, Afrique du Sud, Nouvelle - Zélande) et celles de l'Inde au sommet avec la Star of India (une décoration en forme d'étoile datant de la reine Victoria) que l'on voit aussi sur le drapeau de ce pays avec la devise "Heaven's Light Our Guide", la lumière du Ciel est notre guide.
Au sommet, il y a les armoiries du Royaume-Uni et celles des principaux dominions (Australie, Canada, Terre - Neuve, Afrique du Sud, Nouvelle - Zélande) et celles de l'Inde au sommet avec la Star of India (une décoration en forme d'étoile datant de la reine Victoria) que l'on voit aussi sur le drapeau de ce pays avec la devise "Heaven's Light Our Guide", la lumière du Ciel est notre guide.
L'inscription, rédigée par Rudyard Kipling, bilingue, en anglais et en français, rappelle le sacrifice de près d'un million de soldats dont la plupart reposent en France.
Différentes vues de la plaque commémorative de Nancy. The commemorative plaque in the cathedral of Nancy. |
Sources:
- Photographies prises dans la cathédrale de Nancy (mars 2017).
- "Memorial tablets to the British Empire dead of the First World War", Wikipedia.
C - Le Mémorial Indien de Neuve - Chapelle.
Le Mémorial de Neuve-Chapelle honore
la mémoire des soldats indiens, morts en France pendant la Première Guerre mondiale
et particulièrement pendant la bataille de Neuve-Chapelle (10- 13 mars 1915) au cours de laquelle les deux divisions indiennes (Lahore et Meerut) combattirent ensemble.
Il est situé sur le
territoire de la commune de Richebourg dans la région du Nord Pas-de-Calais, et
dans le département Pas-de-Calais.
Ce monument a été construit en 1927, par Sir
Herbert Baker, dans le cimetière de la Commonwealth War Graves Commission.
Le mémorial de Neuve-Chapelle honore la mémoire de
plus de 4 700 soldats et travailleurs de l'armée indienne, morts
sur le front Ouest durant la Grande Guerre et il est orné de symboles indiens comme le tigre et le pilier d'Ashoka, colonne érigée en série dans le Nord de l'Inde et gravée sous le règne du roi maurya Ashoka (3ème siècle avant J.-C.)
La bataille de Neuve-Chapelle
est la première attaque à grande échelle lancée par l’armée britannique en mars 1915 avec un rôle important joué par les unités indiennes. L'offensive visait à réduire un saillant, formé par le village, qui s'enfonçait dans les lignes britanniques et, si possible, à s'emparer de crêtes tenues par les Allemands et à avancer vers Lille. L'offensive devait aussi montrer aux Français les capacités d'attaque de l'armée anglaise.
Quatre divisions, 40 000 hommes,
ont été regroupées sur un secteur de front de 3 km de largeur seulement, au
matin du 10 mars. L’attaque d’infanterie, programmée à 7h30, est précédée d’un
puissant bombardement d’artillerie, extrêmement concentré, assuré par 342
canons, en grande partie dirigés par des avions de reconnaissance du Royal
Flying Corps.
Si les Britanniques et
l’essentiel du Corps indien progressent rapidement dans le village, dans un
secteur faiblement défendu, une brigade des Gharwal Rifles subit de lourdes
pertes en attaquant une partie des lignes allemandes épargnées par le
bombardement. Finalement, après trois jours de combats féroces, l'attaque est arrêtée et le terrain conquis représente peu de chose mais la prise de Neuve-Chapelle fut célébrée comme une victoire due essentiellement à la bravoure des soldats indiens qui perdirent 4200 hommes, tués ou blessés. C'est pourquoi le mémorial fut construit à cet emplacement.
English summary: The War Memorial of Neuve-Chapelle is dedicated to the Indian soldiers and labourers who died in France during WWI. It was built in 1927 and we can see on it several Indian symbols such as tigers, Hindi script, a pillar of Ashoka. In March 1915, the Indian soldiers fought at Neuve-Chapelle and the losses were heavy among the sepoys.
English summary: The War Memorial of Neuve-Chapelle is dedicated to the Indian soldiers and labourers who died in France during WWI. It was built in 1927 and we can see on it several Indian symbols such as tigers, Hindi script, a pillar of Ashoka. In March 1915, the Indian soldiers fought at Neuve-Chapelle and the losses were heavy among the sepoys.
Clara - Natalia Pora
Pour terminer cette étude, nous souhaiterions citer le professeur Richard Holmes dans son avant-propos du livre No labour, no battle de John Starling et Ivor Lee:
"The next time you see a Labour Corps headstone in a CWGC cemetery, pause to remember that they also served who plied pick and shovel, often in conditions that we can scarcely guess at, providing service upon which so very much depended".
"La prochaine fois que vous verrez une stèle du Labour Corps dans un cimetière de la Commonwealth War Graves Commission, faites une pause afin de vous souvenir que ceux qui servaient en maniant la pioche et la pelle, souvent dans des conditions que l'on peut à peine imaginer, ont fourni un service dont beaucoup d'autres dépendaient".
En Lorraine, les compagnies de l'Indian Labour Corps construisirent, avec d'autres unités du Labour Corps, des infrastructures pour l'aviation britannique et permirent ainsi les opérations aériennes au-dessus de l'Allemagne. L'aérodrome d'Azelot, encore utilisé lors de la Seconde Guerre Mondiale et aujourd'hui dans le cadre du parachutisme, en reste une preuve tangible, de même que la D 115, même si les "Indian labourers" ne firent qu'un court passage dans notre région.
Sources:
- Shrabani Basu, For King and another country. Indian soldiers on the Western Front 1914-1918, Bloomsbury, 2016.
- "La bataille de Neuve-Chapelle (10-13 mars 1915)" par Yves Le Maner sur le site:
http://www.cheminsdememoire-nordpasdecalais.fr/lhistoire/batailles/la-bataille-de-neuve-chapelle-10-13-mars-1915.html
CONCLUSION
Pour terminer cette étude, nous souhaiterions citer le professeur Richard Holmes dans son avant-propos du livre No labour, no battle de John Starling et Ivor Lee:
"The next time you see a Labour Corps headstone in a CWGC cemetery, pause to remember that they also served who plied pick and shovel, often in conditions that we can scarcely guess at, providing service upon which so very much depended".
"La prochaine fois que vous verrez une stèle du Labour Corps dans un cimetière de la Commonwealth War Graves Commission, faites une pause afin de vous souvenir que ceux qui servaient en maniant la pioche et la pelle, souvent dans des conditions que l'on peut à peine imaginer, ont fourni un service dont beaucoup d'autres dépendaient".
En Lorraine, les compagnies de l'Indian Labour Corps construisirent, avec d'autres unités du Labour Corps, des infrastructures pour l'aviation britannique et permirent ainsi les opérations aériennes au-dessus de l'Allemagne. L'aérodrome d'Azelot, encore utilisé lors de la Seconde Guerre Mondiale et aujourd'hui dans le cadre du parachutisme, en reste une preuve tangible, de même que la D 115, même si les "Indian labourers" ne firent qu'un court passage dans notre région.
L'aérodrome d'Azelot en 2017-2018
The airfield of Azelot in 2017-2018